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éprouvé en leur compagnie « les légères secousses du jeune amour, plaisir fugitif qui lui montait à la tête, et faisait courir un tressaillement dans ses veines. » Et justement c’est cette excitation amoureuse qui avait favorisé l’éclosion de sa vocation poétique. C’est dans le matin qui suivit une de ces nuits de plaisir que, rentrant à pied chez lui et assistant au lever d’une glorieuse aurore, il avait eu la première révélation de son génie et s’était dédié au culte de la nature. Le tumulte des sens avait été l’excitant de son ardeur imaginative. Une première fois il avait éprouvé la vérité de cette maxime profonde qu’il émettra plus tard : « Le sentiment vient en aide au sentiment. »

Un an après, lorsqu’il fit son voyage à travers les Alpes, la sublimité des montagnes n’avait pas accaparé son enthousiasme au point de lui faire ignorer les jeunes filles rencontrées sur son chemin. Les brunes Italiennes croisées sur le bord du lac de Côme avaient éveillé en lui de voluptueux désirs, et il les devait évoquer en cette même année 1792 en des vers dont le tour gauche et suranné n’empêche pas de sentir l’exaltation sensuelle :


Adieu, ô formes qui, sous l’ombre de midi,
Reposez auprès de vos petits champs de blé ;
Yeux fixes auxquels un cœur palpitant inspire
De lancer l’orageux rayon du jeune désir ;
Lèvres dont les courants parfumés vont et viennent
D’accord avec l’inquiète rougeur des joues ;
Seins brunis que revêt la lumière d’amour
Et soulevés par la Lune de la passion !


Certes, celui qui écrivait ces vers de forme un peu ridicule, mais ardents, n’ignorait pas le trouble des sens. Il aimait la nature, mais adorait les jeunes filles. Il jouissait des beaux sites mais appelait l’amour. L’amour entier, non la satisfaction rapide d’un caprice, car son cœur était aussi impétueux que ses sens. Il apportait dans ses attachements cette « violence d’affection » que note et chérit en lui sa sœur Dorothée. Il avait dans son tempérament tous les éléments qui font une grande passion.