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de joie et d’espoir où il avait trouvé le pays entier. Souvenir enchanté dont son cœur devait longtemps battre et dont il recherchera la trace au cours de son séjour nouveau. Elles sont toujours présentes à son esprit, ces heures ineffables où l’allégresse de toute une nation avait accompagné d’une musique puissante sa propre liesse d’étudiant en congé. Ce n’est pas une foi politique qui l’animait alors, tout au plus le mot de liberté en sa fraîcheur neuve, dans son vague plein d’immenses promesses. C’était surtout le spectacle de la fraternité débordante et qui se détaillait en mille marques de courtoisie envers les jeunes Anglais, fils d’un pays libre. Décidément, l’aperçu qu’il avait eu de la France et des Français l’avait ravi.

Maintenant il revient tout prêt à jouir de cette cordialité dont il a été si frappé. Et comment à ces espérances de vie sociale ne se mêlerait-il pas chez le tout jeune homme quelque rêve d’amour, l’attente de quelque roman dont scènes et suites sont encore indistinctes ? Il y est tout prédisposé. Nul sentiment déjà formé ne le garde d’une passion nouvelle, et nulle règle sévère de conduite ne dirige ses pas. Son éducation ignora l’austérité, ce dont il ne cessera de se louer. Il se félicitera de « n’avoir pas été tenu en bride par une innocence trop délicate et des notions morales trop intolérantes, des sympathies trop rétrécies. » Il n’a connu la rigide discipline ni dans son Westmoreland natal, ni surtout à Cambridge aux mœurs relâchées. Et il ne nous cache pas que dans son Université il a fréquenté les bons vivants de préférence aux studieux. C’est beaucoup dire.

Ses vers mêmes où si peu a passé de ses entraînements de jeunesse nous laissent entrevoir l’ardeur de son sang en ces années. Ils révèlent un peu de ce que De Quincey appellera brutalement « l’extraordinaire sensibilité animale » de Wordsworth et en quoi il verra « la base de ses passions intellectuelles comme de celles de tous les poètes originaux. » Il serait bien superflu d’en donner des preuves si un tel travail de purification n’avait pas été fait dans sa biographie, et par lui et surtout après lui. Sans parler de cette Lucy inconnue qu’il devait chanter en ses plus beaux vers et pour laquelle il ressentit, parmi les monts d’Angleterre, « la joie de son désir, » il y avait ces filles des fermes du Westmoreland où il fréquentait pendant ses vacances de Cambridge, avec lesquelles la nuit se passait parfois tout entière en danses d’où il sortait tout enfiévré, après avoir