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Il nous a paru que cette histoire était en elle-même saisissante, que les aventures en étaient comme le canevas d’un de ces romans de Balzac dont les péripéties sont les fluctuations mêmes de la période la plus dramatique, la plus intense et la plus instable de nos annales ; qu’en fait, c’est sur la destinée de semblables familles que s’est édifié plus d’un tome de sa Comédie Humaine. On retrouve en abondance dans l’existence des Vallon jusqu’à ces conspirations mystérieuses et ces enquêtes policières où Balzac s’est tant complu. Mais ici la singularité se rehausse du passage à côté de ces événements d’un grand poète étranger, de celui qui est ordinairement défini comme le rêveur solitaire des Lacs. On s’étonne du parallélisme de sa vie d’ermite philosophe avec ces vies tumultueuses.

D’autre part, l’occasion s’offrait d’étudier à nouveau, à l’aide de ces révélations, la physionomie du poète. Il a si longtemps été pris pour le type de toute sagesse et de toute respectabilité que la seule constatation de ses idées révolutionnaires et subversives de jeune homme avait naguère surpris beaucoup de ses lecteurs. Mais que sa conduite même ait jamais été irrégulière, qu’il ait eu sa part, si modeste soit-elle, des entraînements d’un Burns, d’un Byron ou d’un Shelley, voilà qui risque de provoquer un pénible scandale chez ceux qui dans le poète ont surtout vénéré le prédicateur moral et qui ont ignoré sa véritable nature. Toutefois, l’aventure qu’il a courue portera un moindre dommage à son renom de vertu, si elle est contée tout au long. Ce dont il aurait le plus à souffrir maintenant, ce seraient les réticences timides ou les insinuations chuchotées. Plus d’un pensera même peut-être que l’honnêteté profonde de l’homme apparaît plus manifeste dans la longue fidélité qui suivit son erreur et dans la loyauté très simple avec laquelle il en accepta les conséquences. Plus humanisé et plus vrai, il devient en somme plus attachant. Il est bon de savoir qu’il ne trouva pas en lui la sagesse toute formée dès son berceau, et qu’un privilège de nature ne lui rendit pas plus facile qu’aux autres hommes l’impeccable pratique de ces vertus domestiques dont il devint l’admirable poète. Celui que montre le début de cette histoire, fut vraiment un jeune homme et non un patriarche prématuré. Il fut tout semblable à l’amoureux de Ruth, auquel « il fut donné tant de la terre, tant du ciel, et un sang si impétueux. »