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d’expansion que la défaite militaire n’a pas entamée sérieusement. A ce point de vue, l’Allemagne n’est pas et ne sera pas désarmée, d’autant plus que notre intérêt même exige que cette organisation conserve sa valeur productive pour le recouvrement intégral de notre créance.

Mais, si cette puissance renaissante ne saurait être paralysée dans son nouvel essor, lorsqu’elle tend à s’affirmer dans le domaine des affaires, d’autre part, elle n’est pas sans nous inquiéter quand nous considérons le véritable esprit suivant lequel le Gouvernement de Berlin envisage le problème russe. Derrière toutes les manifestations de coopération ou d’entr’aide internationale s’affirme une politique allemande d’entente avec les représentants officiels du bolchévisme, qui pourrait bien s’exercer, dans un avenir prochain, sur un plan beaucoup plus vaste que celui des intérêts économiques. Si la Russie de Lénine et Trotzky, après la consécration de la Conférence de Gênes, reprend une figure d’Etat civilisé, si elle renonce, en apparence et pour éviter la faillite totale du régime, à une propagande révolutionnaire, en sauvegardant les principes essentiels qui président aux relations internationales, c’est alors que s’annoncera le vrai danger, celui qu’il faut apercevoir dès à présent. Entre cette Russie nouvelle, gouvernée par des haines, et l’Allemagne frémissante encore de l’esprit de revanche, toutes deux suspectes à l’Europe et entourées de la défiance générale, des affinités politiques peuvent s’établir, associant deux peuples courbés sous le poids des mêmes réprobations.

Voilà le péril de demain, celui qui naîtra de l’emprise germanique sur l’ancien Empire russe. Il aura chance de se manifester d’abord sous la forme économique, suivant un programme dont le traité de commerce russo-allemand de 1904 nous fournit déjà les grandes lignes, puis par des rapprochements diplomatiques, et peut-être militaires, inspirés par la même pensée de sortir de l’isolement, en opposant à l’entente des vainqueurs celle des vaincus.

Sur cette voie des prévisions pessimistes, nous ne nous avanturerons pas plus longtemps, car il est d’autres prophètes très autorisés qui ont envisagé de tels événements. M. Millerand a eu la claire vision de ce péril lorsque, au moment le plus critique de l’avance des armées bolchévistes, auxquelles l’Allemagne était prête à tendre la main, par dessus le corps de la Pologne,