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homme courtois, endormi peut-être dans un faste puéril, incliné devant le grand soldat vainqueur, si sévère et si simple, au milieu de ces pierreries et de ces soies, dans son strict costume d’occidental.

Mais il nous reste de cet instant fugitif le souvenir enchanté d’un temple de féerie plein de lumière, de musique et d’or.


Angkor, 15 décembre 1921.

Arrivés au Bengalow en pleine nuit : le temple d’Angkor est en face de nous et nous le verrons demain matin dès que le jour sera levé.

Notre voyage depuis Pnom-Penh a eu le même caractère triomphal que le précédent : mais c’est sa dernière partie qui nous laissera le plus profond souvenir. Nous venions de traverser le Grand Lac, si large qu’il connaît, dit-on, toutes les colères et les aspects de la mer ; et nous étions montés sur un radeau fleuri traîné par un groupe de pirogues parées aussi de palmes et de fleurs. Alors le décor changea brusquement : au lieu de la monotone étendue d’eau du lac, nous pénétrions au milieu d’un immense verger surpris sans doute par un déluge ; à perte de vue, des cimes d’arbres aux grosses branches émergeaient de l’eau sombre et elles prenaient sur le crépuscule des teintes profondes d’eau-forte : un immense silence régnait partout, rythmé seulement par le bruit des rames et une nostalgique musique de hautbois et de cloches venue des pirogues. Ainsi nous avons navigué longtemps par un chemin sinueux au milieu des arbres noyés. Et tout cela, cette vision de cataclysme, le combat dans le ciel entre la lune et le soleil à la nuit tombante, cette musique primitive, ce silence de la nature nous reportaient vers les âges lointains d’une primitive humanité.

L’abordage se fit sans bruit à quelque port mystérieux : puis, nous reprîmes en auto notre course au travers des villages devinés dans une forêt de palmiers et de bananiers, vers la mystérieuse Angkor : elle nous semble, après ce long et merveilleux voyage, être une princesse lointaine, vers laquelle nous allons avec des cœurs d’amants.


17 décembre.

Depuis deux jours, nous sommes à Angkor, deux jours d’étonnement sans lassitude passés à visiter les ruines. C’est une