enchantée, telle était grande la profusion de ces lumières accrochées aux arbres et suspendues dans le ciel. Et soudain nous voici dans une cour close de murs barbares et jaunes, mais parée de jardins, au pied d’un temple fragile et somptueux duquel déborde, par une porte étroite, une chaude lumière blonde. Nous gravissons les marches nombreuses et subitement nous entrons dans un étincellement doux de verreries, de glaces, d’or et de soies répandues aux voûtes, aux colonnes et sur le sol : une sorte de nef d’église, bondée de seigneurs en costumes de féerie, alignés comme des fidèles en prière, tandis qu’une merveilleuse musique la remplit tout entière, une musique faite du bruit immense de la mer et du son des cloches : et partout diffuse, irréelle, l’étrange lumière qui semble jaillie de toutes ces richesses : nous avons tous la vision d’un palais enchanté.
Or, notre cortège étonné traverse la longue nef et atteint la place de l’autel : à droite, à gauche, dans le transept, des bonzes impassibles en robe jaune soufflent dans des conques marines ; de la voûte pendent en stalactites des pyramides de parasols blancs au-dessus d’un trône d’or où siège un vieillard immobile, entouré de personnages plus somptueux encore que ceux qui remplissent la nef.
À vrai dire, nous ne savons plus où nous sommes : est-ce quelque mystère religieux qui s’accomplit, ou un rêve enchanté, ou quelque recul dans un passé révolu ? Lui-même, le Maréchal, le réaliste formel, qui marche en tête de notre silencieux cortège, hésite à s’avancer ; il faut que le Roi se lève et vienne à lui pour rompre un peu ce charme.
Alors, petit à petit, nous reprenons pied dans le monde réel : c’est l’échange habituel de discours, de décorations : on parle de la guerre, du droit des peuples, de justice. Le Roi exprime sa reconnaissance au Gouvernement français.
C’est fini, le rêve est dissipé ; nous regardons maintenant le roi Sisowath avec les yeux de notre corps : c’est un vieillard vigoureux ; la tête nue, les cheveux drus et blancs séparés d’une raie, les yeux abrités derrière d’opaques lunettes noires, les sourcils étonnés et bienveillants, une large bouche qui sourit toujours ; il est vêtu d’une culotte et de bas noirs, d’une tunique de soie jaune ou or, barrée du grand cordon de la Légion d’honneur : il ne nous paraît plus maintenant qu’un