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prochaine et aller vous demander la permission de vous ennuyer quarante-huit heures de ma prose. Si vous condamnez mon ours, comme dit Henri, je trouverai du moins aux Angles le bon air, le calme, les promenades sous les marronniers et peut-être un peu de soleil dont j’ai oublié ici la couleur. Si vous deviez vous absenter la semaine prochaine, je vous serais bien obligé de me le faire savoir. Sinon, j’écrirai à Henri pour réclamer son équipage le jour de mon arrivée. Votre cheval ne s’étonnera pas d’être réquisitionné pour porter un manuscrit [1]. A bientôt donc, monsieur, et mille respectueuses amitiés.


Au même


9 octobre 1876.

Mon cher Maître,

Je viens de lire le journal qui porte l’étoile de M. Janicot, étoile qui ne sera pas de longtemps, je le crains bien, la Polaire de la France. Il faut, en vous remerciant, que je vous fasse un reproche : vous n’avez pas été assez sévère pour moi [2], Je sais mieux que personne « les taches qui déparent mon ouvrage. » Je sais combien c’est encore l’œuvre inexpérimentée d’un enfant et pour le savoir je n’ai qu’à regarder dans ce miroir que tout écrivain porte au fond de son cerveau plein d’images idéales qui deviennent noires et contrefaites, dès que nous les touchons avec notre vilaine encre. Heureux ceux qui peuvent, comme vous, mettre sur le papier les filles de leurs rêves avec toute leur beauté, peut-être, diront les grincheux, parce que vous écrivez avec de l’encre blanche !

J’en appelle donc devant ma conscience littéraire de l’extrême indulgence de mon juge : mais je suis profondément touché, parce que je comprends bien que le critique s’est effacé sans trop s’en douter derrière le vieil ami qui m’a vu grandir auprès de lui, et que le cœur s’est ouvert aux dépens des yeux. Peut-être aussi y a-t-il dans vos éloges un peu d’un autre sentiment : la joie du prédicateur qui aperçoit enfin quelqu’un dans son église et le canonise du coup... Aussi êtes-vous tout heureux quand à

  1. Il s’agit du manuscrit de Syrie, Palestine, Mont Athos, premier ouvrage de l’écrivain.
  2. Voyez dans les Nouveaux samedis, quinzième série, 1 vol. in-18 ; C. Lévy, l’article d’Armand de Pontmartin intitulé : Syrie, Palestine, Mont Athos, Voyage aux pays du Passé.