Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis les classiques, Chateaubriand, Lamartine et les autres, il s’est assez transformé pour fournir matière à de nouvelles investigations. Vous m’avez rappelé que toute œuvre consciencieuse est sûre de trouver un petit nombre d’amis inconnus, d’esprits de même famille qui la fêtent en secret. Enfin, vous m’avez fait valoir cette considération qu’un récit de voyage est chez nous œuvre d’utilité publique s’il peut inspirer aux jeunes gens de loisir et de fortune le goût des pérégrinations lointaines. Le Français ne sort plus de son boulevard où il voit tout à son image ; on s’en aperçoit tristement dans ces contrées reculées dont nous avons oublié le chemin et où notre langue, nos mœurs, nos idées, notre action perdent chaque jour du terrain au profit des peuples voyageurs : et plus tristement encore chez nous où l’on se fait, de l’autre côté de la frontière, les idées les plus fausses, sinon les plus grotesques. Nous avons chèrement payé le droit de nous dire ces vérités.

J’ai donc cédé en partie au moins ; je n’ai pas essayé d’écrire un livre ; la plupart du temps, j’ai transcrit ce journal tel qu’il a été fait, effaçant quelques lignes trop personnelles, accentuant quelques idées et quelques recherches qui me tiennent plus particulièrement à cœur, rectifiant quelques assertions d’après mes devanciers. Je le répète, cette œuvre ne s’adresse qu’aux rares esprits comme le vôtre, impartiaux, calmes et désintéressés, regardant passer les choses de ce monde avec un sourire parce qu’elles ne valent pas mieux, amoureux seulement d’art et de poésie, de vérité et de lumière. Je viens des sources où l’on en trouve et je leur en apporte un peu, telle qu’il m’a été donné de l’y puiser. Si même ceux-là me faisaient mauvais accueil, il me resterait encore la meilleure récompense d’une entreprise de ce genre : le plaisir d’avoir vécu un peu plus longtemps parmi ces chers souvenirs. Que de fois, durant les journées grises et sombres de nos climats moins bénis, je suis retourné en pensée dans la bienheureuse Egypte me réchauffer à son clair soleil !

Quand c’était l’âme qui était grise et triste, je revenais en Palestine, la terre des consolations divines et des apaisements. Enfin, mon cher ami, vous me croirez sans peine, si je vous dis que ma meilleure tentation a été de causer plus longuement avec vous ; en revoyant ces notes écrites d’abord pour vous, j’ai cru bien souvent, malgré tant de terres et de mers qui nous séparent, reprendre nos ardentes causeries d’autrefois durant