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qui me fussent refusées. Je me glisserai dans les ténèbres, vers un humble refuge incertain, avec mon cœur tout enflammé d’ardeur pour la lumière et les sommets. Je serai l’un de ces cygnes salis qu’on voit piétiner loin de leur rivière natale. J’avouerai ma déchéance, j’appellerai sur mon nom la pitié au lieu de l’envie, je reconnaîtrai moi-même que je doute de ma séduction et n’ai plus foi en mes sortilèges.

« Je le veux, mais le puis-je ? Si mon amour me le commande, mon orgueil me le défend. Mon amour consent à dire « oui, » mais d’un lieu plus profond que mon amour des « non, » sourds, aveugles, obstinés, que je ne puis étouffer, veulent arrêter ma retraite et m’enchaîner à mon destin royal.

« Qu’elles s’envolaient vite, les nuits que nous passions ensemble ! Les deux crépuscules se touchaient, comme les perles d’un collier. Mais qu’ils seraient intolérables, les jours et les nuits de l’humiliation, dont les heures tomberaient goutte à goutte pour glacer nos cœurs ! »

Du dehors, mêlés à ce chant passionné, les cris du combat montaient et se rapprochaient, à chaque minute, et dans la forteresse même les hurlements des femmes couraient.

— Hâtons-nous, Oriante, dit Isabelle. Écoute ta tendresse plus que ta dure volonté. Hâte-toi ! nous allons périr.

Mais Oriante, les yeux fixes, tournés en dedans, lui répétait avec égarement :

— Tu n’as rien à craindre. Ne suis-je pas née pour désarmer l’univers ?

Elle disparut dans le harem. Isabelle, sans l’entendre, avec une rapidité fébrile, puisait à pleines mains, dans les grands coffres, des sequins, des pierreries et des perles qu’elle nouait dans des châles de l’Inde et des foulards de Perse.

Au bout de quelques minutes, Oriante revint, coiffée d’un diadème, les cheveux sur les épaules, à la fois reine et suppliante, brûlante de désespoir et de fierté. La tendre fille ne put retenir un cri d’admiration et de douleur :

— Que tu es belle, Oriante !

— N’a-t-il pas dit que nous devions être des cadavres étincelants ! Passe à ton col ces perles et à tes mains ces émeraudes, prends ce voile d’or.

— Pourquoi nous parer ainsi, ma reine ?

— Pour mes fiançailles ou ma mort.