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dessus de sa tête une écharpe. Toute autre qu’elle, il l’eût précipitée au pied du donjon. Quoi ! Désirait-elle être remarquée par celui qu’elle n’avait qu’à détester et à craindre ? Dans la soirée, elle nia avec une prodigieuse assurance ce qu’il était bien sûr d’avoir vu. Il la crut troublée jusqu’au délire. Pouvait-elle être si différente de la haute personne raisonnable qu’il admirait depuis le début du siège ! Il fut détourné d’en faire trop de réflexions par la folie générale qui envahit la forteresse, maintenant qu’on savait l’extrême péril de la situation.

« Les gens de Qalaat, dit la chronique, étaient comme ivres ; ils ne comprenaient plus ce qui se disait. Leurs figures devinrent noires et ils perdirent complètement le gouvernement d’eux-mêmes, comme s’ils eussent été ballottés par les vagues de la mer. »

Sire Guillaume, fatigué des discours que cet insolent continuait de tenir sur le rocher, fît dresser en secret une pièce, et quand l’autre se présenta, une terrible arquebusade le jeta à terre, de sorte que les deux camps criaient : « Le comte d’Antioche est tué ! » Hélas ! le lendemain il se fit porter sur un autre rocher voisin du château, et de là, avant que l’on pût pointer de nouvelles machines, il annonça aux Musulmans qu’il était encore plein de santé, et qu’avant peu il leur prendrait leurs femmes et, eux, les ferait pendre.

Cependant plusieurs Sarrasins sur le rempart priaient les chrétiens de leur donner un peu d’eau à boire, et le plus souvent ceux-ci répondaient : « Jette-nous quelque chose qui nous plaise. » Les Sarrasins jetaient des habits, des ornements ou de l’argent, et en même temps ils descendaient au bout d’une corde un panier où les Chrétiens mettaient une jarre d’eau. Par ce moyen, il y eut des correspondances. Guillaume crut savoir que de son entourage même des relations mystérieuses avaient été engagées avec les chefs chrétiens. Sous les peines les plus dures, il interdit ces prises de contact, et ne pensa plus qu’à s’évader d’une situation désespérée.

Depuis longtemps ses dispositions étaient arrêtées dans son esprit. Un matin, il entraîna Oriante et Isabelle dans la chambre du trésor, et là, toutes portes fermées :

— Qalaat est perdu, dit-il, mais je sauverai vos personnes et le plus précieux des richesses qui sont entassées ici.

— Quoi ! s’écria Oriante, en sommes-nous là ? Avons-nous