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REVUE DES DEUX MONDES.

Des deux ouvriers qui constatèrent ce désastre, l’un, par désespoir, passa immédiatement dans le camp chrétien et l’autre vint avertir Guillaume. Guillaume s’efforça par promesses et menaces d’empêcher que cette sinistre nouvelle ne se répandit parmi les défenseurs. Il n’avertit qu’Oriante.

— La citerne, lui dit-il, contient de l’eau pour huit jours. Après cela, c’est la mort. Ainsi l’heure est venue de nous décider. Fuyons ensemble à Damas, nous y serons heureux.

Il fut atterré par la physionomie de la jeune femme qui devint tout à coup sérieuse et presque sinistre :

— Le ciel m’est témoin que pour toi je suis prête à quitter toute richesse et toute domination. Mais est-il nécessaire, si nous ne pouvons pas résister, de nous accommoder du dénuement de Damas plutôt que du partage avec les chefs chrétiens ?

— Dieu, répondit-il, veut que nous perdions ce qui est aujourd’hui dans nos mains ; mais pourquoi sacrifierions-nous notre amour qu’il ne nous dispute pas et qui est le premier de nos biens ?

— S’il te plaît de nous déposséder, je dis oui à tous tes caprices.

— N’accuse pas mes caprices, mais la nécessité.

— Qu’exige donc la nécessité ? Où veulent en venir tes pensées secrètes ?

— Je n’ai pour toi aucune pensée secrète. Si nous restons ici, le mieux qui puisse arriver est que tu entres dans le lit de quelqu’un des vainqueurs, et que moi je voie cela.

— Tu ne me verras jamais qu’avec un cœur fidèle.

— Fuyons donc à Damas. Le plus sûr est de hasarder cette fuite.

— Je ne pourrai pas parvenir jusqu’à Damas.

— Tu seras l’étoile du désir qui guide la caravane.

— Et là-bas je ne serai plus une reine.

— Partage ma fortune, embellis mon destin, sois l’arc-en-ciel de nos jours orageux, et je nous prophétise un avenir royal. De quel air absent tu m’écoutes ! Je te prends dans mes bras ; laisse-moi rencontrer ton regard, et accueille dans ton cœur défiant la chaleur de mon espérance. Ne te sens-tu pas pénétrée par la force, l’élan et la surabondance de ma certitude ? Ton sourire, l’accent de ta voix suffiront pour écarter les mauvaises chances. Sois maintenant toute à moi, ne te laisse pas aller à d’autres pensées.