Dans les jardins de l’Oronte, aux temps faciles, avant le siège, il eût imaginé certainement que sous un sabre levé, cette Oriante éclaterait en supplications, les genoux dans la poussière, les bras nus, la bouche entr’ouverte, et réduite par la terreur à consentir à toutes les exigences, mais à l’épreuve voici que cette âme se révélait royale, c’est-à-dire résolue à diriger le destin, et incapable de rien accepter qui la diminuât, et violente, excessive, démesurée, elle possédait dans son arrière-pensée la raison la plus lumineuse. Il l’estimait comme une vertu vivante. Préférer à soi-même une autre qui, elle-même, nous préfère à soi ; désirer de mourir à deux, pour épanouir une seule vie plus belle ; appeler la volupté avec la certitude d’y tuer nos humanités et d’en surgir créature céleste… premières minutes sublimes d’un tel amour comblé. Tous les philtres de fierté, de décence ingénue et d’exaltation tendre, dont Oriante avait jusqu’alors composé son charme, recevaient de l’incessante présence de la mort un surcroît de force. Guillaume avait l’idée de tenir dans ses bras un jeune héros.
Les deux amants passaient leurs jours et leurs nuits dans un état de vibration de leurs âmes, montées au plus haut point et pourtant accordées étroitement. « Puissions-nous, chantait Oriante, confondre nos minutes dernières, comme nous mêlons ici nos heures les plus vives, et sceller dans le repos sous une seule pierre notre inséparable accord ; mais si la fortune adverse obtient de nous séparer, elle nous fera souffrir sans parvenir jamais à rompre notre unité, car mon ivresse s’est glissée en toi et la tienne en moi, et j’ai laissé ton cœur recevoir de mon cœur une empreinte immortelle ! Va, fuis, je te garde aussi sûrement que tu m’emportes, l’un à l’autre mariés par mon choix ! » Et Guillaume l’ayant dans ses bras continuait de la poursuivre, avec autant d’ardeur que s’il ne l’eût jamais atteinte. Attachés l’un à l’autre, ils s’appelaient comme si le fleuve Oronte les eût séparés.
Après six mois de siège et trois mois de ces délices, le Tout-Puissant voulut que dans l’aqueduc souterrain qui courait de la montagne à la forteresse, une pierre énorme se détachât et qu’elle obstruât toute arrivée d’eau.