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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

confirmer cette opinion de sire Guillaume, et la Sarrasine retourna son irritation contre son Seigneur et maître dont elle comparait l’incapacité et la négligence à la clairvoyance du jeune chrétien.

Toute la journée, les paysans refluèrent en ville avec leurs bestiaux et leurs récoltes. On ne pouvait que les accueillir, ces malheureux. Quant à les protéger au dehors, avec quels soldats ? À peine en avait-on assez pour garnir les remparts.

Le soir, l’Émir s’en étant allé avec sire Guillaume à travers les rues, fut accueilli par un silence tragique de désaffection. Oriante, impatiente de tout apprécier par elle-même, se faisait porter à leur suite en litière. Tous trois montèrent sur les murs. Dans le crépuscule, déjà l’ennemi dressait son camp sous la ville. Ils virent ses tentes, ses piques et ses gonfanons, et entendirent ses insultes.

— Voilà donc, dit Oriante au chrétien, les chevaliers qui veulent mettre des femmes à mort, ou, du moins, nous imposer leur amour comme un joug.

Sire Guillaume protesta avec vivacité. Il dit que les chevaliers chrétiens, plus qu’aucun homme au monde, honoraient les dames, et il lui montrait dans la brume, au milieu du camp, la haute bannière du comte d’Antioche, leur chef, où était figurée une Vierge dorée.

Elle distingua son trouble. Il souffrait en regardant ses frères de religion et cherchait son devoir. N’eût-il pas dû se glisser immédiatement au bas de ces murailles, pour n’avoir pas à porter les armes contre l’étendard de la Vierge ?

Assez longuement, sans découvrir son jeu, elle le fit parler, le contredit, l’approuva, et dans une minute où ils furent seuls :

— Eh ! quoi, serait-il possible qu’un chevalier chrétien fût tenté d’abandonner au malheur l’amie qui partageait avec lui sa prospérité ? Celui qui ne défend pas sa citerne est indigne d’y boire une gorgée.

Sur ce thème de peur, de désir et de noblesse, elle parlait d’une voix tendre et précipitée, avec un accent étouffé. Et soudain, il s’engagea par les serments les plus terribles à ne jamais l’abandonner.

Rentré au palais, dans le Conseil de guerre où elle le fit convier, son avis fut clair et net. Qalaat ne pouvait se dégager de vive force. C’était un espoir à écarter. En revanche, on devait