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UN JARDIN SUR L’ORONTE.

soies éclatantes, couvertes de voiles de couleurs, chaussées de brodequins dorés, parées de colliers, de fards et d’odeurs, les unes marchant avec fierté comme des paons sur les pelouses, d’autres légères comme des gazelles, la plupart assises sous un cèdre, entouraient la Sarrasine. Des oiseaux de paradis autour d’un jeune aiglon. Elles mangeaient des sucreries et jouaient au trictrac, tandis que des colombes et des perdrix rouges sautillaient et picoraient autour d’elles et que des musiciens, groupés à une petite distance de leur cercle éclatant, modulaient l’air fameux : « Sous les roses on joue de la harpe, sous le cyprès la flûte soupire, sous les jasmins on récite les poèmes immortels et sous les jonquilles on cause d’amour. » Le vent s’était fait magicien et mêlait les couleurs, les parfums, les rires et la musique. Isabelle vint à la rencontre de Guillaume et le conduisit par la main à la Sarrasine. Il se fit un grand silence de tout le jardin. Pour voir le jeune homme, toutes les beautés s’étaient rapprochées, comme des biches si l’on apporte à l’une d’elles un gâteau, et se tenaient maintenant immobiles autour de leur reine, comme les pétales de la tulipe autour de son cœur noir. Et celle-ci lui dit :

— Sire Tristan, croyez-vous que nous sommes ici une suffisante collection de mandragores, de basilics et de turquoises, pour composer un philtre d’amour efficace ?

Toutes se mirent à rire.

Alors il devina avec confusion qu’elles avaient entendu son récit de Tristan et Iseult à l’Émir et que c’étaient elles les souris de la tribune, le soir du souper.

Elles crurent toutes reconnaître un effet de leur beauté dans sa timidité, mais c’était uniquement la crainte que donne l’amour, car leur variété ne servait à ses yeux qu’à rehausser leur reine, que seule il voyait.

— Chut ! lui dit Isabelle, ne bougez pas.

Elle était occupée à faire un point à l’écharpe de la Sarrasine, et l’ombre du jeune homme tombait sur le large ruban, ce qui fait qu’après trois minutes, en jetant son aiguille, elle lui dit :

— Petit chrétien, je viens de te coudre à cette écharpe.

Et toutes d’applaudir. Les lèvres de rubis souriaient, les joues brillaient, les boucles de cheveux voltigeaient, certains regards étaient voilés par de longues paupières, et d’autres