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surtout à la fraction conservatrice, un tel triomphe qu’il n’est pas démontré que le revirement qui s’est produit dans l’opinion soit suffisant pour renverser les proportions.

Les ministres conservateurs ont insisté unanimement pour que M. Lloyd George gardât le pouvoir ; M. Chamberlain, parlant le 3 à Oxford, en a expliqué les raisons très fortes : « On raconte que la coalition chancelle, que son cas est désespéré ; mais pareille conception des choses est aussi éloignée que possible de la vérité... Les intérêts nationaux aussi bien que ceux de notre parti seraient certainement compromis par la démission du premier ministre. » M. Lloyd George a toujours eu le goût du risque ; il a cherché une occasion de renforcer la cohésion de son ministère et la discipline de ses troupes électorales, ou de passer la main en préparant peut-être un rapprochement avec les éléments libéraux-radicaux et les travaillistes. Si M. Lloyd George devait quitter le pouvoir, nous serions de ceux qui regretteraient l’homme d’État vigoureux qui sut, avec ses alliés, mener la guerre jusqu’à son heureux terme. Des élections immédiates ouvriraient, pour l’Angleterre et pour sa politique en Europe, une ère d’incertitude qui pourrait entraîner les plus dangereuses conséquences. La coalition n’a pas terminé son œuvre ; elle est encore nécessaire à l’Angleterre, puisqu’aucun parti ne paraît assez fort pour assumera lui seul la charge du gouvernement. On ne voit pas bien, d’autre part, M. Lloyd George concluant un mariage de raison avec M. Asquith et le Manchester Guardian. Dans ce journal, le professeur Ramsay Muir, dans une courageuse et intéressante controverse épistolaire, défend vigoureusement la politique de lord Grey avant la guerre contre les attaques des radicaux qui, exaspérés du discours de l’ancien chef du Foreign Office (23 janvier), l’accusent d’avoir précipité la guerre en 1914 et lui reprochent de n’avoir pas imité l’attitude de Gladstone en 1870. Comment M. Lloyd George parviendrait-il à s’entendre avec ces germanophiles impénitents ? On ne le voit pas, et surtout on ne le souhaite pas. — Au moment où nous corrigeons les épreuves de cette chronique, on apprend que, les ministres conservateurs ayant, avec beaucoup de force, représenté à M. Lloyd George que sa démission aurait les plus fâcheux effets, tant au point de vue international, à la veille de la Conférence de Gênes, que dans l’intérêt de la stabilité politique intérieure de l’Angleterre, le Premier a renoncé à se retirer ; mais sa décision ne serait définitive qu’après la Conférence de Gênes et dépendrait de l’attitude des associations unionistes dans les circonscriptions électorales. La victoire reste à M. Lloyd George.