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enchevêtrés. Les poings se serrent comme si l’on pouvait, par ce geste, ajouter à la force des équipes. De temps à autre, un des spectateurs, ne se contenant plus, se dresse et crie de toute sa voix un encouragement, un conseil : Get’em, boys ! Are you sleeping, Yale ? Go ahead ! For a touch down ! « Sus sus, les amis ! Est-ce que tu dors, Yale ? Allez de l’avant ! Tentez un essai ! » Que par hasard le ballon échappe à la mêlée qui le bloque, alors c’est une explosion de hurrahs, de cris inarticulés qui soulagent la frénésie contenue de cette multitude.

Des jeunes gens, les « cheer-leaders, » ont d’ailleurs pour fonction d’entretenir l’enthousiasme et de le régler. Munis d’énormes mégaphones, ils ordonnent les applaudissements en faveur de leurs camarades. Ils ont l’air de possédés quand ils bondissent sur la pointe des pieds, rythmant de leurs bras les acclamations :


Rah-rah-rah-rah
Yale !


Du côté opposé on voit la même mimique, des corps qui s’allongent dans l’air, des bras qui s’agitent désespérément, et puis une rumeur éclate, s’enfle, monte et porte jusqu’à vous, dans un cri final de fureur, le nom du collège : Princeton !

Mais il devait m’être donné de pénétrer jusqu’au fond de la violence qui secouait intérieurement ces milliers de spectateurs. Un petit incident, presque comique, mais qui prit les proportions d’une tragédie pour bien des gens, détermina un de ces mouvements collectifs que j’aurais cru ne pouvoir exister qu’en temps d’émeute. On approchait de la fin. Les deux teams étaient à égalité et l’on prévoyait une partie nulle, quand l’un des joueurs de Yale risque un coup d’audace. Il lance le ballon à l’un de ses partenaires, lui offrant l’occasion de tenter un essai. La main était-elle mal assurée ? Ou l’attention du joueur à qui le ballon était destiné fut-elle en défaut ? Toujours est-il que le ballon tomba à terre ; puis, rebondissant mollement sur les moindres aspérités du terrain, comme s’il était follement heureux d’avoir échappé aux mains qui, tout l’après-midi, l’avaient étreint rageusement, il se mit à rouler, tranquille et à son aise, vers les poteaux de Yale. Jamais je n’ai vu pareille émotion électriser une foule. Des deux côtés, c’est comme un accès de folie. Tout le monde est sur ses pieds, gesticulant, vociférant. Un même désir semble envahir tous les esprits, celui de bondir