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l’analyse est si facile et si sûre ? On veut ignorer que la puissance d’abstraction est la force la plus agissante dont dispose l’esprit humain et que les faits, en somme, ne devraient être que les degrés permettant de s’élever jusqu’à ces altitudes où brillent, purs et clairs, les principes et les lois.

Ce défaut de l’éducation américaine est encore aggravé par le système dit « électif. » L’étudiant est libre de choisir sur la liste des cours professés à l’Université ceux qui correspondent le mieux à ses préférences ou à ses besoins. Et comme ces cours sont nombreux, allant des langues anciennes et modernes, des sciences, du droit, de l’histoire, de la géographie jusqu’à l’économie politique, l’anthropologie, la littérature biblique, la peinture, la musique et les sciences militaires, il lui est facile de satisfaire ses caprices. Il est vrai que Yale a appliqué ce système avec prudence. On a mis des entraves à la liberté, d’abord en rendant certaines matières, — comme l’anglais, l’histoire, une langue vivante, les sciences, — obligatoires pour quiconque veut obtenir un diplôme ; ensuite en limitant le nombre des sujets sur lesquels peut se porter le choix pendant les deux premières années. Il n’en reste pas moins vrai que l’étudiant a encore trop d’occasions de suivre les inspirations de son inexpérience. Il a une fâcheuse tendance à se diriger Vers les sujets qui pourront lui être d’une utilité directe, plus tard, dans son métier, sans s’inquiéter s’il a, au préalable, jeté les bases d’une indispensable culture générale. Il prend l’habitude de mettre sur le même plan toutes les manifestations de l’activité humaine, sans faire la distinction nécessaire entre celles qui sont essentielles à la formation de l’esprit et celles qui ne peuvent que satisfaire la curiosité ou servir un but immédiat. Car, au fond, le principe qui a mené à l’adoption de ce système, c’est que toutes les sciences ont une valeur éducative égale, pourvu qu’elles soient étudiées dans un esprit scientifique et qu’elles conduisent par là à l’acquisition d’une méthode.

Dans cette prépondérance donnée aux faits et à la méthode, au détriment de raffinement et de l’assouplissement de l’intelligence, on reconnaît l’influence d’une nation néfaste dont on retrouve les méfaits jusque dans ce pays lointain. C’est que, pendant longtemps, l’admiration de l’Allemagne a inspiré les Universités américaines dans toutes leurs réformes pédagogiques. Après la guerre de 1870, précisément à une époque où