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maquillage et de faux ; Gorini déclarait au contraire : « Que les erreurs de M. Thierry aient été préméditées, ce soupçon je le repousse de toutes mes forces [1]. » Il ne s’était pas trompé.

L’historien se fit lire et relire plusieurs fois la Défense de l’Église. A creuser l’ouvrage et à s’en mieux pénétrer, il lui parut que, s’il avait pu tracer des portraits artistement ciselés de saint Grégoire de Tours et de saint Fortunat, de sainte Radegonde, de saint Médard et de saint Praetextat, de Grégoire VII ou de Thomas Becket ; s’il avait montré, chez l’un, le dernier conservateur des lettres romaines et des mœurs aristocratiques, chez l’autre le poète de l’extrême décadence, épicurien raffiné, vaniteux et intrigant ; en celle-là la jeune captive aimée, puis dégoûtée par la grossièreté d’un brutal vainqueur, s’échappant de la couche royale pour se réfugier dans un cloître ; dans ceux-ci le maître impérieux de la chrétienté ou le patriote insurgé contre l’injustice et la violence du conquérant ; il n’avait peut-être pas assez considéré en eux, le caractère providentiel de l’évêque, du docteur, de la réformatrice ou du pontife et les avait par suite involontairement dépouillés de leur beauté morale et intellectuelle.

Par appétit de justice et de vérité, pour apaiser les scrupules accrus de sa conscience, il résolut donc de soumettre les Récits et surtout la Conquête, en commençant par celle-ci, non pas seulement à l’une de ces revues de forme et de détail, qu’il avait accoutumé d’accomplir à chaque nouveau tirage, mais à une refonte complète des parties qui pourraient lui sembler entachées d’arbitraire ou de méprise.

Cependant, avant de commencer cette révision suprême et de lui consacrer les forces dernières d’une santé de plus en plus chancelante, il voulut achever d’établir le second volume de la Collection dont il était chargé, en même temps que publier à part l’Essai sur l’histoire de la formation et des progrès du Tiers-État, jusqu’alors enfoui dans une publication savante et des moins accessibles à la masse des lecteurs.


L’ « ESSAI SUR LE TIERS-ÉTAT »

Les sollicitations de ses collègues et de ses amis l’avaient déterminé à ce dernier parti. Mais, alors que le travail avait

  1. Défense de l’Église, tome III, page 242.