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Pourtant nous y buvons avec avidité ;
Notre amour s’en nourrit, comme autrefois nos peines.
Par ces campagnes suburbaines
Nous revenons à toi, triste réalité !



Triste ? non, le mot n’est pas juste.
Est-on triste dans le bonheur ?
Mais Paris est sévère : en cette ville auguste,
Le passant matinal n’est point un promeneur.

Il va droit son chemin sans détourner la tête,
Car la courbe qu’il suit a d’urgentes raisons.
Et ce bruit sourd qui plane au-dessus des maisons.
Ce grondement n’est point une rumeur de fête.

On ne sait quoi d’énorme et d’indéterminé
Palpite au vent des ponts, dans la pâle éclaircie,
On ne sait quoi comme un Messie
Que chaque aurore annonce et qui n’est jamais né.

Quelque chose qu’on sent plus qu’on ne se l’explique
Mûrit avec souffrance et gagne en force, en poids,
Pareil à ces vapeurs qui, s’exhalant des toits,
S’amassent au sommet de la tour métallique.

C’est un trouble profond, c’est un malaise obscur,
C’est un frisson fiévreux qui court dans notre mur
Et fait trembler notre fenêtre ;
Mal et bien confondus, c’est tout l’âge futur
Qui, dans un grand combat, s’efforce ici vers l’être.

Nous-mêmes, revenus dans l’immense rûcher,
Il faut, dès aujourd’hui, nous remettre à l’ouvrage ;
Tournés vers l’avenir, il faut nous raccrocher
A ce sombre essaim qui fait rage.


FRANÇOIS PORCHÉ.