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s’était chargé de son logement : sa détention déguisée fut de courte durée : le 22 juin, le comte de la Châtre, représentant accrédité de Louis XVIII auprès de George III, arriva chez Perlet à sept heures du matin et l’invita à monter dans sa voiture. L’audience royale était fixée pour ce jour-là. C’était l’épreuve décisive. Voilà donc le mouchard de Desmarest, le séide de Veyrat, roulant dans un équipage écussonné aux trois fleurs de lys, aux côtés d’un gentilhomme de haut renom et d’antique noblesse, maréchal de camp, grand d’Espagne, chevalier de la Toison d’or, brigadier général dans l’armée anglaise et Commodore dans la marine. On voudrait savoir quelle fut, durant le parcours, la conversation du vulgaire Perlet avec ce parfait grand seigneur, réputé pour son tact, sa délicatesse et sa franchise chevaleresque. Comment ce noble Français, si délié, ne discerna-t-il pas à quelque bévue, à un mot malsonnant, à l’exagération même de l’humilité, la trivialité de son compagnon ? Comment n’entrevit-il pas l’impossibilité qu’un tel homme fût ce qu’il prétendait être et le danger de l’introduire chez le monarque exilé, si jalousement protégé par son entourage contre les inconnus et les intrigants ? Celui-ci était porteur de communications flatteuses et l’on était soucieux, avant tout, de nourrir les illusions dont on vivait. Le comte de la Châtre repassa donc Perlet au comte d’Avaray, venu à Londres tout exprès pour conduire au Roi l’émissaire du Comité de Paris. Le trajet, jusqu’à Gosfield, dura plus de quatre heures et, en cours de route, d’Avaray, l’homme du dévouement toujours en éveil, ne s’étonna pas, ne soupçonna rien, lui non plus. On arriva au château à onze heures et demie, et l’espion fut aussitôt introduit dans le cabinet royal. Louis XVIII, qui l’attendait impatiemment, se leva à son entrée et s’avança vers lui : c’était là une de ces faveurs que, jadis, à Versailles, bon nombre des plus nobles et des plus intimes serviteurs du souverain n’avaient jamais obtenues. Ignorant tout de l’étiquette, Perlet crut bien faire en se jetant à genoux et en se prosternant, le ventre sur le tapis. Le Roi parut surpris et même « effrayé » de ce cérémonial inusité ; mais il avait hâte de savoir ; il s’assit devant son bureau, désigna à son visiteur un siège « très rapproché du sien, » et la conversation s’engagea.

On parla du « parti puissant » qui s’occupait à Paris de rappeler Sa Majesté sur le trône de ses pères. D’après le récit