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Il arrivait à Gravesend, en Tamise, le 10 juin, à huit heures du malin.

Deux policemen montent aussitôt à bord et, au nom du roi George, interdisent au Français de mettre le pied sur le sol d’Angleterre. Il doit rester durant dix jours sur l’inconfortable bateau qui l’a amené, sans permission de se procurer les aises de toilette et d’hygiène indispensables après une traversée difficile ; il lui faut vivre de la vie des matelots, couchant dans leur cajute et mangeant à leur cambuse ; le 18 juin, une chaise de poste l’emporte ; le conduit-elle vers la prison de Newgate, en attendant Botany-Bay, ou chez le Roi pour y être traité en plénipotentiaire de distinction ? A six heures du matin, le lendemain, il est à Londres ; reçu avec grands égards par un personnage qui lui dit être messager d’Etat, il peut « se rafraîchir, » s’habiller convenablement et, dans l’après-midi, il est présenté à Lord Hawkerbury, ministre de l’Intérieur.

Il faut que ce bas policier soit doué d’un solide aplomb pour soutenir à l’improviste la tâche qu’il assume : c’est un pauvre hère, sans éducation, sans manières, sans élégance ; il a l’obséquiosité des malchanceux ; on ne sait pas comment il s’exprime, mais la façon dont il écrit dénote qu’il est sans instruction, sans finesse et sans verve. En présence d’un membre de cette aristocratie anglaise, si hautaine, si exclusive de tout ce qui n’est pas « du monde, » il n’a à formuler que des mensonges, insolents d’invraisemblance ; il doit se poser, malgré sa gaucherie certaine et son embarras, en émissaire choisi et délégué par « d’éminents personnages de la haute société parisienne ; » il y a mille chances pour que la pénétration du Lord ait raison de la fourberie de ce goujat. — Eh bien, non ! C’est le grand seigneur qui est pris au piège, et c’est le goujat qui l’englue. Il commence par se plaindre « amèrement » des mauvais traitements éprouvés depuis son arrivée en Angleterre ; on l’a gardé en surveillance,. on l’a privé de voir « ses amis ; » en présence du ministre lui-même, quoique entouré d’égards, il n’est encore qu’un prisonnier. Lord Hawkerbury s’excuse : — « Il y a eu des difficultés inévitables ; l’espèce de gêne dont se plaint le voyageur a simplement pour but d’empêcher que celui-ci parle à quiconque avant d’être admis en la présence de Louis XVIII ; M. Perlet n’a, d’ailleurs, qu’à demander tout ce qui lui sera nécessaire ; des ordres sont donnés pour qu’il reçoive satisfaction. »