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une folle ingénuité ; les bals, les fêtes, le spectacle, la parure l’occupaient exclusivement, » Soit exaltation royaliste, soit amour du roman et de l’aventure. Nymphe s’enthousiasma pour l’œuvre antipatriotique à laquelle Leclerc vouait sa vie ; elle lui offrit ses services. Lui, prêt à tout sacrifier au succès de son entreprise, enrôla l’enfant dans sa troupe. Sous des prétextes que l’on ne sait pas, mais qui suffirent à leurrer sa mère, Nymphe, travestie en jeune garçon, parcourait, sous le faux nom de Dubuisson, les routes du Boulonnais et servait de commissionnaire à la conjuration. Elle recevait les lettres des mains de la femme Philippe, les portait à l’abbé Leclerc, dont, avec quelques autres initiées, elle connaissait toujours la retraite variable, payait les affidés et restait souvent plusieurs jours absente de Boulogne, étendant ses courses, seule ou en compagnie de Pois, dit Larose, jusqu’à Dieppe ou Amiens. Un de ses oncles, l’abbé Delaporte, était l’un des agents les plus actifs de la Correspondance et passait fréquemment le détroit pour porter en Angleterre les pièces importantes.

Or, il arriva que, par suite d’une délation ou autrement, la gendarmerie saisit enfin les fils de cette association ténébreuse. Leclerc, traqué, se réfugia à Abbeville, dans la maison d’une dame Denis, petite rue Notre-Dame, où Nymphe trouva également asile. L’épicier du Tréport, Philippe, les vendit à la Police ; des gendarmes se présentèrent, une nuit, chez Mme Denis qui, terrifiée, les conduisit elle-même à la cachette recelant les papiers de la Correspondance. La maison était bien machinée, car Nymphe et l’abbé restèrent introuvables. Lui s’éloigna, croit-on, dans la direction de Saint-Omer. La jeune fille regagna tranquillement Boulogne, annonça à sa mère qu’elle était « hors la loi, » mais innocente et qu’elle allait « livrer sa tête. » Stupéfaite, Mme de Préville, jusque-là sans soupçon de l’extravagante conduite de sa fille, la fit reconduire à Abbeville, chez des parents qu’elle avait, en la suppliant de se bien cacher. Mais c’était trop exiger de cette enfant insouciante : dans cette ville où d’adroits policiers, venus de Paris, cherchaient les complices de Leclerc, elle passait sa journée à la fenêtre et parut même deux fois au bal. Mieux conseillée, un jour, elle disparut. Plus d’un an après, on apprit que la Commission militaire siégeant à Rouen avait condamné à la peine de mort les pêcheurs Philippe et Dieppois, l’instituteur Duponchel, Leclerc,