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s’embarquer, bien persuadé qu’il ne sortira pas vivant de la nasse où on le pousse et qu’il en est au dernier exploit de sa carrière ; cette extraordinaire expédition devant se terminer, en toute vraisemblance, par un coup de poignard, une balle de pistolet ou la cravate de chanvre de la potence.


Les communications sont lentes entre Paris et Londres, au printemps de 1808. Seize mois auparavant, Napoléon a lancé de Berlin ce fameux décret du Blocus, aggravé, un an plus tard, par le décret de Milan qui met l’Angleterre « au ban du continent. » Toute communication, toute correspondance sont interdites entre les Iles britanniques et l’Europe ; toute marchandise suspecte d’origine anglaise est livrée aux flammes ; tout voyageur soupçonné d’avoir séjourné en Angleterre est emprisonné. Reste la contrebande : elle est intense ; par Heligoland, par le Danemark dont les Anglais se sont emparés, par la Hollande et même par les côtes de la Manche, s’effectuent des passages clandestins : il y a des fissures dans le Blocus ; mais quels détours et quels retards ! Pour atteindre Paris, Charles Vitel, par exemple, embarqué à Londres, a dû gagner le petit port Slesvicois de Husum, aller de là à Gothembourg, en Suède, revenir à Hambourg, traverser Hanovre et Francfort, s’arrêter à Neuchâtel et entrer en France muni d’un passeport suisse. Le trajet d’une lettre de Londres à Paris dure quinze jours au moins et ses étapes varient sans cesse. Pourtant les journaux passent le détroit ; on reçoit régulièrement à Londres le Moniteur et le Journal de l’Empire, huit, dix ou douze jours après la date de leur publication ; les gens eux-mêmes trouvent le moyen d’aborder en France ou d’en sortir ; la preuve est que, presque tous les jours, on en arrête à Boulogne. Quelques-uns transitent par Jersey, se font jeter à la côte par quelque pêcheur et se faufilent en Normandie.

Sauf durant l’éphémère trêve de la paix d’Amiens, la correspondance avec l’Angleterre a toujours été difficile depuis le début de la Révolution. C’est le crime qui, du 18 fructidor jusqu’à 1814, fournit le plus d’accusés aux Commissions militaires. On risque sa vie à introduire en France un écrit venant de Londres ou à sortir de notre pays une missive à destination de l’Angleterre. Comme, dans ce récit de l’intrigue Perlet, il