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— « Vous avez la cruauté de me reprocher notre imprudence, riposte-t-il ; comment, grand Dieu ! avec tout le crédit dont vous n’avez cessé de nous peindre l’étendue, n’avez-vous pas eu celui de faire au moins suspendre une condamnation aussi atroce que révoltante ? Vitel ne devait rien faire que par vous et vous n’avez pas trouvé le moyen de lui parler ou de le voir un moment ! « Il ne dissimule pas que l’événement a beaucoup amoindri la confiance que le Cabinet britannique plaçait dans la compétence de Perlet et dans l’ascendant de son Comité : « Cela, je vous l’avoue, a bien diminué nos espérances ; » mais, aussitôt, pour émousser le mauvais effet de ces réprimandes : — « Je sens tout le chagrin que vous avez dû éprouver !... »

Quant à François Fauche, réfugié à Copenhague, d’où il sert d’intermédiaire à la correspondance entre son frère, Mitau et Paris, il a appris, le 25 avril seulement, l’arrestation de Charles Vitel et sa douleur s’épanche, prudemment, en termes commerciaux : — « Je savais déjà le malheur arrivé à l’une des caisses de bijouterie... Si vous aviez encore les moyens de la sauver, pourquoi ne pas vous adresser à notre voisin (Fauche-Borel) ? Ceci doit vous être possible, puisque vous me dites que, en payant les droits, on peut recouvrer cette caisse... » Perlet n’y réussit pas, comme on l’a vu, et, malgré leur réel chagrin, les deux frères Fauche n’en poursuivent pas moins la décevante entreprise. Les lettres de Perlet, — par prudence, dit-il, — sont sobres de détails sur la catastrophe du 4 avril et sur ses causes profondes, et l’on commence à démêler dans ses réticences qu’une volonté toute-puissante seule a dirigé la tragique aventure. L’ordre de mort émanait de Bonaparte lui-même. Et voici que, à Londres, les imaginations, sans cesse en travail d’illusions, tirent de ce nouvel aperçu des conclusions favorables. Si le tyran s’est acharné ainsi contre cet enfant sans défense, c’est donc qu’il ne s’illusionne pas sur la fragilité de son pouvoir ; il soupçonne l’existence de ce formidable Comité qui a juré sa perte ; n’osant affronter la lutte avec ce puissant adversaire, il a passé sa rage sur le plus chétif des affiliés. Cet acte d’inutile cruauté est un symptôme de faiblesse. L’Empereur a été « battu » à Eylau : il est perdu ; une simple chiquenaude, et il s’effondrera. — C’est à de telles billevesées que se complaisent, au printemps de 1807, l’émigration et le Gouvernement d’Angleterre.

Cependant, depuis la mort de Vitel, l’étrange confiance de