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le courage de lui dire que le courroux populaire gronde et qu’un obscur moujik ne doit pas gouverner plus longtemps la Russie !... » Youssoupow fut secoué d’une violente émotion. Mme P... qui était assise près de lui, le vit aussitôt blêmir et tressauter.

Le lendemain, 3 décembre, il se rendit chez Pourichkiéwitch.

Après lui avoir fait promettre un secret absolu, il lui raconta qu’il s’était lié depuis quelque temps avec Raspoutine, dans le dessein de pénétrer les intrigues qui se tramaient à la cour, et qu’il n’avait reculé devant aucune flagornerie pour capter sa confiance : il y avait merveilleusement réussi, car il venait d’apprendre, par le staretz lui-même, que les partisans de la Tsarine s’apprêtaient à déposer Nicolas II, que le Césaréwitch Alexis serait proclamé Empereur sous la régence de sa mère et que le premier acte du nouveau règne serait d’offrir la paix aux Empires germaniques. Puis, voyant son interlocuteur bouleversé par cette révélation, il lui découvrit son projet de tuer Raspoutine et il conclut : « Je voudrais pouvoir compter sur vous, Wladimir-Mitrophanowitch, pour délivrer la Russie de l’épouvantable cauchemar où elle se débat. » Pourichkiéwitch, qui a le cœur chaud et la volonté rapide, acquiesça d’enthousiasme. A l’instant même, ils concertèrent le programme du guet-apens et fixèrent la date du 29 décembre pour l’exécution.


Les délégués de France, d’Angleterre et d’Italie à la conférence des Alliés devraient partir ces jours-ci pour Pétrograd. Buchanan, Carlotti et moi, nous conseillons à nos Gouvernements de retarder leur départ. Inutile de les exposer aux fatigues et aux risques d’un voyage par les mers arctiques, s’ils ne doivent trouver ici qu’un Gouvernement désemparé.


MAURICE PALÉOLOGUE.