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Ce soir, je vais au Théâtre-Marie, où l’on représente la Belle au bois dormant, le pittoresque ballet de Tchaïkowsky, avec la Smirnowa.

On ne parle naturellement que du drame d’hier et, comme on ne sait rien de précis, l’imagination russe se donne un libre cours. Les sauts, les pirouettes et les « arabesques » de la Smirnowa ne sont pas plus fantaisistes que les récits qui se colportent dans la salle.

Au premier entr’acte, le comte Nani Mocénigo, conseiller de l’ambassade d’Italie, me dit :

— Eh bien ! monsieur l’ambassadeur, nous voici donc revenus au temps des Borgia !... Le souper d’hier ne vous rappelle-t-il pas le fameux festin d’Imola ?

— L’analogie n’est que lointaine. Il n’y a pas seulement la différence des temps ; il y a surtout la différence des civilisations et des caractères. Par l’astuce et la perfidie, l’attentat d’hier n’est certes pas indigne du satanique César. Mais ce n’est pas le bellissimo inganno, comme disait le Valentinois. La magnificence dans la luxure et la scélératesse n’est pas donnée à tout le monde...



Lundi, 1er janvier 1917.

Si je n’en dois juger que par les constellations du ciel russe, l’année commence sous de mauvais signes. Je constate partout l’inquiétude et le découragement ; on ne s’intéresse plus à la guerre ; on ne croit plus à la victoire ; on s’attend et l’on se résigne aux pires événements.

Ce matin, je discute avec Pokrowsky le projet de réponse à la note américaine sur nos buts de guerre. Nous cherchons une formule au sujet de la Pologne ; je fais valoir que la reconstitution intégrale de l’État polonais et, par suite, la reprise de la Posnanie à la Prusse sont d’une importance capitale ; nous devons donc affirmer hautement nos desseins. Pokrowsky acquiesce en principe ; il hésite cependant à s’engager, par crainte de donner aux Alliés un droit d’immixtion dans les affaires de Pologne. Je lui objecte en riant :

— Vous avez l’air d’emprunter vos arguments au comte de Nesselrode ou au prince Gortchakof.

Il rit à son tour et me répond :