Que la Douma, dans la lutte décisive quelle a entreprise, justifie l’attente du pays ! Il n’y a pas un jour à perdre !
La comtesse R..., qui vient de passer trois jours à Moscou pour se commander des robes chez la fameuse couturière, la Lomanowa, me confirme ce qu’on m’a rapporté naguère de l’exaspération qui anime les Moscovites contre la famille impériale :
— J’ai dîné chaque soir, me dit-elle, dans des milieux différents. C’est partout le même cri d’indignation. Si l’Empereur se montrait aujourd’hui sur la Place Rouge, il serait hué. Quant à l’Impératrice, on l’écharperait. La grande-duchesse Élisabeth, si bonne, si charitable, si pure, n’ose plus sortir de son couvent. Les ouvriers l’accusent d’affamer le peuple... Dans toutes les classes, il y a comme un souffle de révolution...
Samedi, 30 décembre.
Vers sept heures du soir, un informateur excellent, qui est à mon service, m’apprend que Raspoutine a été assassiné ce matin, pendant un souper au palais Youssoupow. Les assassins seraient le jeune prince Félix Youssoupow, qui a épousé en 1914 une nièce de l’Empereur, le grand-duc Dimitry, fils du grand-duc Paul, et Pourichkiéwitch, chef de l’extrême-droite à la Douma. Deux ou trois femmes de la société auraient participé au souper. La nouvelle est encore tenue rigoureusement secrète.
Avant de télégraphier à Paris, j’essaie de contrôler ce qu’on vient de me rapporter.
Je me rends aussitôt chez Mme D... Elle téléphone à sa tante Mme Golovine, la grande amie et protectrice de Raspoutine. Une voix éplorée lui répond :
— Oui, le Père a disparu cette nuit. On ne sait ce qu’il est devenu... C’est un affreux malheur !
Au Yacht-Club, la nouvelle se répand dans la soirée. Le grand-duc Nicolas-Michaïlowitch se refuse à y croire :
— Dix fois déjà, dit-il, on nous a annoncé la mort de Raspoutine. Et, chaque fois, il a ressuscité, plus puissant que jamais !
Il téléphone cependant au président du Conseil, Trépow, qui lui répond :