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Jeudi, 30 novembre.

Sur ma proposition, Trépow est nommé Grand-Croix de la Légion d’honneur. Je me rends aussitôt chez lui pour l’en informer :

— Le Gouvernement de la République, dis-je, a voulu reconnaître ainsi le service éminent que vous avez rendu à l’Alliance, en poursuivant avec tant d’activité la construction du chemin de fer mourman ; il a tenu de plus à vous témoigner la confiance qu’il met en vous dans les circonstances difficiles où vous prenez le pouvoir.

Il se montre fort touché. Je le crois sincère ; car il a toujours aimé la France, où il a beaucoup vécu.

Puis, nous parlons des affaires

Sans entrer dans le détail de son dissentiment avec l’Empereur et des obstacles qu’il rencontre du côté de la Douma, il m’annonce qu’il se rendra après-demain au Palais de Tauride et qu’il prendra immédiatement la parole. Voici les points principaux qu’il abordera dans son discours : 1° guerre à outrance ; la Russie ne reculera devant aucun sacrifice ; 2° déclaration sur Constantinople et les Détroits ; promesse de sauvegarder les intérêts de la Roumanie ; 3° affirmation que la Pologne sera reconstituée dans ses limites ethniques, pour former un État autonome ; 4° invitation solennelle à la Douma de collaborer avec le Gouvernement pour mener la guerre à bonne fin.

Trépow conclut :

— J’espère que la Douma me fera un accueil convenable. Mais je n’en suis pas sûr… Vous devinez pourquoi et à cause de qui.

Puis il m’expose que la Douma est absolument décidée à n’entretenir aucune relation avec Protopopow, à le huer et à lever la séance s’il entre dans la salle, etc. Je lui demande :

— L’Empereur, qui a eu la sagesse de renvoyer M. Sturmer, ne comprend-il donc pas que le maintien de M. Protopopow au pouvoir devient un danger public, un danger national ?

— L’Empereur est trop judicieux pour ne pas s’en rendre compte. Mais c’est l’Impératrice qu’il faudrait convaincre. Et sur cette question, elle est intraitable !

Après un silence, il reprend à voix basse, comme s’il se parlait à lui-même :