Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelqu’un trouble la fête. Jeanne Boulard, qu’il a complètement perdue de vue, au point d’avoir d’abord peine à la reconnaître, vient lui apprendre la mort de leur fils, — de « l’autre fils, » comme on dit dans la pièce de M. Pierre Decourcelle, — tué à l’ennemi. Rendons-lui cette justice que cette mort l’émeut. Elle fait naître en lui certains scrupules. Pour soulager son cœur, il confesse à Philippe le secret de son passé. L’exemple du fils naturel enseigne le courage au fils légitime : Philippe partira pour le front... Le bourgeois embusqué, l’ouvrier dans les tranchées, — cette manière d’écrire l’histoire de la guerre n’est pas neuve, et elle n’est pas belle.

Le fils Boulard n’était pas mort ; il n’était que disparu : il revient, au troisième acte. Blessé, mal soigné en Allemagne et traînant la jambe, réintégré de mauvaise grâce dans son petit emploi d’avant-guerre, il estime que la société oublie les promesses dont elle avait leurré les poilus, à l’heure du danger. Maintenant qu’il est un héros, pourquoi son père hésiterait-il à le reconnaître ? M. Levasseur est un faible ; il consentirait, quoique sans enthousiasme ; mais on ne peut pas dire que la famille ouvre tout grands ses bras à cette recrue inespérée. Sensible à la fraîcheur de l’accueil, le fils Boulard prend le bon parti, qui est de quitter la place, emmenant sa sainte mère..- Ainsi la famille naturelle secoue sur l’autre son juste mépris.

M. Huguenet et Mme Jeanne Granier ont mis toute leur expérience de la scène au service de rôles ingrats. Un grand succès personnel est allé à Mlle Falconetti qui, chargée du rôle de Jeanne Boulard, au premier acte, y a montré de l’émotion et du naturel.


M. Guitry, qui avait déjà, dans une conférence très originale et dont on a beaucoup parlé, rendu à Molière un hommage enthousiaste et cordial, a fait mieux encore : il a tenu à honneur d’interpréter le rôle d’Alceste. Interprétation d’une rare puissance, est-il besoin de le dire ? entièrement personnelle et qui restera dans l’histoire du rôle. Pour M. Guitry, Molière est avant tout un acteur. Aussi est-ce aux acteurs et actrices qu’il avait tenu à donner la primeur de sa création. Tout ce qui compte dans le monde des théâtres avait été convié, avec la presse, à la répétition générale. Le plus grand comédien de ce temps se montrait aux comédiens de son temps. Ce fut un spectacle d’une saveur toute particulière, comme on n’en peut voir qu’à Paris, et dont seul un Parisien très averti eût pu discerner toutes les nuances. Le succès, qui s’était déclaré très vif, dès la scène du sonnet, où M. Guitry dit avec un art consommé la