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REVUE DRAMATIQUE


Vaudeville : La chair humaine, pièce en trois actes, par M. Henry Bataille. — Théâtre Edouard VII : M. Lucien Guitry dans le rôle d’Alceste. — Paul Mounet.


Ce qui frappe, dans la nouvelle pièce de M. Henry Bataille, c’est la complète absence de tout ce qui constitue une pièce de théâtre. Ni invention, ni composition, ni dialogue. Un fait divers, s’étendant sur un espace de trente années, tiré en longueur et dans toute sa longueur, et conté suivant l’ordre chronologique. Une succession de tableaux, ou plutôt d’images, d’un dessin raide et figé, opposant l’une à l’autre deux destinées et deux classes sociales, suivant le procédé cher à l’imagerie d’Épinal.

Trente ans avant. C’était l’année où tout Paris fredonnait : En r’venant d’la revue. Dans une mansarde. Jeanne Boulard, couturière, a été séduite par le fils de la maison où elle va en journées, Georges Levasseur. Elle en a eu un enfant. Gaie et contente, elle élève le petit, le soigne, le dorlote ; et quoique le père, furieux de sa paternité, se fasse de moins en moins tendre et de plus en plus rare, elle continue de l’aimer d’un amour passionné et docile. Courte visite du jeune bourgeois. A son air gêné, nous devinons tout de suite ce qu’il n’ose pas avouer et que la confiante Jeanne Boulard ne soupçonne même pas. Tout à l’heure, elle apprendra, par un tiers, que son amant se marie. Sous le coup, son cœur bondit. Elle crie sa souffrance, et puis se résigne, et promet d’être bien sage... Telle est l’abnégation de l’âme populaire, en réponse à la vilenie de l’âme bourgeoise.

Second tableau : pendant la guerre. Georges Levasseur est devenu un gros industriel : il a réalisé d’énormes bénéfices ; sa femme mène une vie capitonnée de bourgeoise cossue ; le fils, qu’il a eu en justes noces, Philippe, est embusqué : il est parfaitement heureux. Mais