pour une minute l’aspect de leur ancêtre hébreu ou saxon... « Il se plaît à déchiffrer sans faute « les effigies marquées un revers du mot le plus usé. » Les mots ne sont pas pour lui de simples étiquettes que l’on colle sur les objets ou les sentiments ou les idées ; il leur accorde une espèce de vie, une âme et devine auprès d’eux leur fantôme inquiet, leur double.
N’est-ce pas une imagination séduisante et vaine de M. Giraudoux, qu’essaye de réaliser sa jeune Suzanne exilée dans une île du Pacifique ? Elle invente un langage ! « Langage sans suffixes, ni préfixes, ni racines, où les êtres qui se ressemblent le plus ont les noms les plus différents. Noms sifflants toujours suivis d’une belle épithète qui les nourrit comme un tender. Noms roulants dont je forge beaucoup devant l’écho, les criant et les modifiant jusqu’à ce qu’il me revienne du rocher un nom sans alliage... » Glaïa désigne « le sentiment que l’on éprouve quand les feuilles rouges du manguier sont retournées par le vent et deviennent blanches. » Kirara désigne « le mouvement de l’âme quand les mille chauves-souris, pendues à un arbre mort comme des figues, se détachent une à une. » Youli désigne et le sommeil et la faim. Etc. Suzanne, qui est seule et ne parle qu’à elle-même, est l’unique maîtresse de son langage et l’abandonnera dès que surviendront de jeunes Américains, voyageurs qui la sauveront de la solitude. Il faut, dans la société, faire usage des mots les plus répandus. M. Giraudoux consent à employer le commun langage. Il le sait à merveille ; il traite les mots avec une savante précaution. Mais j’avoue qu’il se rattrape, de temps en temps, sur la syntaxe. Et je l’en blâme : il n’a aucun besoin de rechercher la bizarrerie, ayant une singularité naturelle.
Le ton le plus ordinaire de ses ouvrages est le même qu’il définit comme celui de Jacques dans l’École des indifférents : « son ironie, son lyrisme et son humour commodes. » Son ironie est gaie, est tendre et souvent proche d’une tristesse qui se cache. Son lyrisme se mêle de raillerie et tend au sublime avec un peu d’incrédulité ; les héros qu’il invente ne s’engageraient pas à être dix années sans « construire de cathédrales, sans commander d’armées, sans devenir moines » : ils sont très nonchalants cependant, chimériques et voluptueux. Son « humour, » je regrette qu’il ne l’ait pas désigné d’un mot, de chez nous : car il est bien de chez nous et de la veine de nos bons écrivains.
M. Giraudoux est de France. Toute son œuvre est bien française dans la plaisanterie, ailleurs également.