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trouveront résolues en fonction d’un progrès général. N’en a-t-il pas été de même en Europe, où les changements survenus dans le domaine économique, politique et social ont entraîné naturellement des changements correspondants dans la constitution de la famille, l’éducation des enfants et la situation des femmes ?

« En ce qui concerne le progrès social, je ne vois pas en quoi notre religion pourrait y faire obstacle. Le socialisme, dans sa forme occidentale, n’existe pour ainsi dire pas en Turquie, parce que nous n’avons pas de grande industrie et que notre agriculture n’est pas organisée de manière à opposer une classe d’ouvriers à une classe de propriétaires : la terre est presque partout cultivée directement par celui qui la possède. Mais l’Islam contient tous les principes de ce que vous appelleriez chez vous un « socialisme modéré. » Il ne reconnaît pas au capital-argent le droit de porter des fruits ; notre loi n’autorise ni les sociétés anonymes, ni les actions au porteur : les actions nominatives sont seules admises. Elle ne reconnaît pas d’autre monnaie que l’or et l’argent. Elle impose à tout croyant l’obligation de disposer d’une partie de ses biens, soit en faveur des malheureux qui sont incapables de gagner leur vie, soit au bénéfice de ceux qui, ayant travaillé, n’ont pas réussi à assurer leur subsistance. Le Zékiat est pour tout musulman un devoir strict : le quarantième de chaque fortune doit être distribué en aumônes.

« Vous voyez que ces principes n’ont rien d’incompatible avec les directions modernes de la vie sociale. Quant aux détails de notre législation, ils peuvent, ils doivent même se modifier suivant les circonstances. Notre tradition religieuse est formelle : « Tout verset du Coran qui semble contraire à l’esprit, — que l’esprit ne peut pas concevoir, — doit être interprété dans un sens conforme à l’esprit. » Les divers changements qui seront la conséquence d’une assimilation plus complète, par le peuple turc, des sciences, des arts et des industries modernes, auront donc sur nos lois leur répercussion légitime. »

— Mais les prêtres, dans l’ensemble, jugent-ils une telle évolution conforme à l’institution religieuse, à l’esprit de l’Islam ?

— Entendons-nous bien, — répondit vivement Fatim Effendi. L’Islam a une base morale intangible, immuable : c’est la distinction du bien et du mal. Il comporte en outre des obligations