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spécialistes étrangers dans cette tâche difficile, qui consiste à transformer un système logique en organisme vivant et durable ?

— Oui, il y en a, qui tout ensemble connaissent assez bien les méthodes, étrangères et sont assez imbus des traditions nationales, pour aider vos spécialistes à accorder les unes aux autres. Ce qui me parait certain, c’est que la restauration de la Turquie ne saurait résulter que d’une collaboration entre ces deux éléments : la technique étrangère et l’esprit indigène. Vous nous apporterez votre science, votre expérience ; nous mettrons à votre disposition la connaissance que nous avons de notre pays, de notre race, de ses qualités et de ses défauts, et de l’effort commun sortira un système vivant, une organisation naturelle, par conséquent efficace.

— Mais ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que les événements de ces dernières années, en exaspérant le sentiment national, n’aient développé dans le pays une xénophobie redoutable ?

— Non, le peuple turc n’a pas de haine contre l’étranger : il est impressionnable, mais plus sensible au bien qu’au mal, et sa reconnaissance est longue comme sa mémoire. Pensez à l’Angleterre : il fut un temps où elle nous protégeait : les Turcs ne l’ont pas encore oublié. L’Angleterre peut être aujourd’hui pour nous la cause de grands malheurs : n’est-ce pas elle qui nous livre au nationalisme radical, au panislamisme, et peut-être au bolchévisme ? N’importe. Le souvenir de ses bienfaits antérieurs est encore vivant parmi nous. La grande majorité des Turcs est sympathique aux étrangers et favorable à leur intervention, pourvu que les étrangers respectent les traditions de la race, l’honneur et l’indépendance de la nation, tout ce que cette terre a fait naître et doit continuer de faire vivre. »

Tandis que Hussein Kiazim parlait, un murmure mélodieux s’était élevé du jardin proche ; puis il était devenu vocalise franche et hardie ; la voix, — sans doute celle d’un jeune garçon, — entrait par les fenêtres ouvertes dans le cabinet où nous causions, elle s’imposait, s’installait familièrement dans notre conversation. Tout en discourant, le ministre l’écoutait. Ce chapelet de notes claires, égrené fidèlement par combien de voix ! depuis des siècles, ne lui causait ni trouble ni embarras : c’était à ses paroles comme un accompagnement souhaité. Je suis sûr qu’à aucun moment l’idée ne vint au ministre d’imposer