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à un échec, il fallait en inventer une autre. Le malheur est que toutes celles qu’on inventait laissaient la Turquie comme elles l’avaient trouvée, mais indisposaient plus ou moins gravement contre elle les étrangers, sans qui elle ne peut pas vivre.

« En un mot, la Turquie a été ruinée par des réformes livresques, logiques, importées brutalement du dehors et imposées par des sots fanatiques à un peuple dont ils ignoraient ou méconnaissaient les tendances naturelles et les caractères originaux. Autant de réformes, autant de maladies, qui, étant donné notre nature passive, notre médiocre faculté de réaction, ne se sont pas traduites par des crises aiguës, mais sont devenues tout de suite des maladies chroniques. Nous avons été empoisonnés, exténués par les fausses réformes. Pour guérir, pour revivre, la Turquie devra recourir à un traitement très différent de celui que lui appliquèrent ces mauvais médecins. Ceux qui entreprennent de réorganiser le pays, après avoir étudié les systèmes pratiqués à l’étranger, devront les transformer, les accommoder au caractère de notre peuple, à ses traditions religieuses et sociales, aux conditions particulières de son existence.

« Soyez bien persuadé que le peuple turc sent confusément, mais profondément cette nécessité. Il aspire à être gouverné, il aime l’autorité et abhorre l’anarchie ; mais il ne se soumettra qu’à une autorité conçue et exercée suivant les mœurs et les traditions de sa race. Au temps où j’étais vali de Salonique, des troubles éclatèrent en Albanie. On envoya de Constantinople une commission pour étudier sur place les causes du malaise et aviser aux remèdes qu’il convenait d’y apporter. Les commissaires, en passant, vinrent me rendre visite. Un vieux cadi, qui ne savait pas lire, mais que j’estimais pour son bon jugement, s’approcha de l’un d’eux et lui dit doucement : « Où vas-tu ? — En Albanie. — Pour quoi faire ? retourne à Constantinople : ce n’est point là-haut, c’est là-bas qu’il y a quelque chose à changer. » Voilà leur sagesse.

— Mais, demandai-je, ces réformes, accommodées au caractère et aux besoins particuliers du peuple turc, voyez-vous ici des hommes capables de les élaborer ?

— Non, répondit le ministre.

— En voyez-vous du moins qui soient aptes à guider des