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presque toujours souffrante... Il faut beaucoup la plaindre. Elle me parle ensuite des nombreuses œuvres dont elle s’occupe personnellement, asiles de retraite, ambulances de guerre, écoles d’apprenties, patronages de détenues, etc.

— Vous voyez, poursuit-elle, que je ne reste pas inactive. Le soir, après dîner, je vais régulièrement chez mes vieux amis Benckendorff. Ils habitent, comme moi, le Grand-Palais, mais à l’autre extrémité. Nous nous entretenons un peu du présent et beaucoup du passé. Vers minuit, je les quitte. Pour gagner mon appartement, il faut que je traverse la file interminable des immenses salons que vous connaissez. De loin en loin, brille une lampe électrique. Un vieux domestique passe devant moi pour m’ouvrir les portes. C’est long, ce voyage, et ce n’est pas gai... Je me demande souvent si ces salons reverront jamais les splendeurs et les gloires d’autrefois !... Ah ! monsieur l’ambassadeur, que de choses sont en train de finir !... Et comme elles finissent mal !... Je ne devrais pas vous dire cela. Mais nous vous considérons tous comme un véritable ami et nous pensons tout haut devant vous.

Je la remercie de sa confiance et j’en profite pour lui affirmer que l’horizon s’éclairerait bien vite si l’Empereur se tenait en plus étroite communion avec son peuple, s’il s’adressait plus directement à la conscience nationale. Elle me répond :

— C’est ce que nous lui disons quelquefois, timidement. Il nous écoute avec douceur... et il parle d’autre chose.

A l’exemple de son auguste maître, elle me parle aussi d’autre chose.

Incidemment, je prononce le nom de la belle Marie-Alexandrowna N..., ci-devant comtesse K..., qui, par l’élégante pureté de ses formes et le rythme onduleux de ses lignes, me fait toujours penser à la Diane de Houdon. Mme Narischkine me dit :

— Cette charmante femme a suivi la mode nouvelle, la mode générale. Elle a divorcé. Et pourquoi ? Pour rien ! Serge-Alexandrowitch K... était parfait à son égard ; elle n’a jamais pu formuler contre lui aucun grief. Mais, un beau jour, elle s’est éprise ou elle a cru s’éprendre de N..., qui est si médiocre, si inférieur sous tous les rapports à Serge-AIexandrowitch, et, bien qu’elle ait deux filles de celui-ci, elle l’a quitté pour épouser l’autre... Je vous assure que, autrefois, on divorçait très rarement ; il fallait des motifs très graves, exceptionnels.