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Il ajoute sur un ton confidentiel :

— J’aimerais causer tranquillement avec vous, monsieur l’ambassadeur. Quand pourriez-vous me recevoir ?

— C’est moi qui irai vous voir. Il vaut mieux que notre conversation ait lieu à votre ministère.

Jetant un coup d’œil sur Sturmer, il reprend :

— Oui, cela vaut mieux.

Nous prenons rendez-vous pour après-demain.

Je m’approche du baron Wrangell qui cause avec mon attaché militaire, le lieutenant-colonel Lavergne, et mon attaché naval, le capitaine de frégate Gallaud. Aide de camp du grand-duc Michel, frère de l’Empereur, il leur confie les impressions qu’il rapporte de Galicie.

— Le front russe, dit-il, est désormais bloqué, d’un bout à l’autre. Ne comptez plus sur aucune offensive de notre côté. D’ailleurs, nous sommes impuissants contre les Allemands ; nous ne les vaincrons jamais.



Jeudi, 19 octobre.

Trépow me reçoit à deux heures et demie dans son cabinet du ministère des Voies de communication, qui prend jour sur les jardins Youssoupow.

Au sujet de la crise économique, il me répète, en précisant par des chiffres, ce qu’il me disait avant-hier soir à l’ambassade. Puis, avec cette franchise, parfois brutale, qui est un des traits de son caractère, il me parle de l’Alliance et des buts qu’elle s’est assignés. Il conclut :

— Nous sommes a une heure critique. Ce qui se décide actuellement entre le Danube et les Carpathes, c’est l’issue ou plutôt la durée de la guerre ; car l’issue de la guerre ne peut plus... ne doit plus être mise en doute. Tout récemment, j’ai fait mon rapport à l’Empereur, qui m’a permis de lui parler librement et j’ai eu la satisfaction de le trouver d’accord avec moi sur la nécessité, non seulement de soutenir la Roumanie, mais encore d’attaquer à fond la Bulgarie, dès que l’armée roumaine sera un peu renforcée et aguerrie. C’est dans la péninsule balkanique et non ailleurs que nous pouvons espérer obtenir, à bref délai, un résultat décisif. Sinon, la guerre se prolongera indéfiniment... et avec quels risques !