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— Et la situation intérieure ? N’en êtes-vous pas inquiet ?

— Inquiet, non. Préoccupé, oui... D’après tous mes renseignements, les partis libéraux de la Douma sont résolus à ne relever aucune des provocations du Gouvernement et à ajourner leurs revendications. Le danger ne viendra donc pas d’eux ; mais leur volonté peut être dominée par les événements. Une défaite militaire, une famine, une révolution de palais, voilà ce que je redoute surtout. Si l’un de ces trois événements se produit, c’est la catastrophe certaine.

Motono reste silencieux. Je reprends :

— Vous n’êtes pas de mon avis ?

Nouveau silence. Sa figure se contracte dans une réflexion aiguë. Puis :

— Vous venez de traduire si exactement mon opinion, que je croyais m’entendre parler moi-même.



Vendredi, 13 octobre.

Le ministre de Roumanie, Diamandy, que Bratiano avait gardé auprès de lui depuis deux mois, est rentré ce matin à Pétrograd, après un arrêt à la Stavka. Il vient me voir.

— L’Empereur, me dit-il, m’a accueilli de la façon la plus cordiale et m’a promis de faire tout son possible pour sauver la Roumanie. J’ai été beaucoup moins satisfait de mes entretiens avec le général Alexéïew, qui semble ne pas comprendre l’effrayante gravité de la situation ou qui obéit peut-être à des arrière-pensées égoïstes, à la préoccupation exclusive de ses propres opérations. J’avais mission de lui demander l’envoi immédiat de trois corps d’armée dans la région située entre Dorna-Vatra et la vallée de l’Ojtuz ; ces trois corps franchiraient les Carpathes par Piatra et Palanka ; ils marcheraient droit vers l’Ouest, c’est-à-dire vers Vasarhely et Klausenbourg. L’invasion de la Valachie par les Carpathes du Sud en serait aussitôt arrêtée. Mais le général Alexéïew ne consent à envoyer que deux corps d’armée, qui devront opérer uniquement dans la vallée de la Bistritza, autour de Dorna-Vatra, en liaison avec l’armée du général Letchinsky. Et ces deux corps seront prélevés sur l’armée de Riga, de sorte qu’ils n’arriveront en Transylvanie que dans quinze ou vingt jours !... Malgré mes objurgations, je n’ai pu le convertir aux idées de l’État-major roumain.