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Raspoutine disait un jour à l’Impératrice, qui pleurait en apprenant les pertes énormes d’une grande bataille : « Console-toi ! Lorsqu’un moujik meurt pour son tsar et sa patrie, une lampe de plus s’allume aussitôt devant le trône de Dieu. »



Mercredi, 20 septembre.

Sur tout le front circulaire de la Roumanie, se dessine et s’exécute le plan d’Hindenburg. En Dobroudja et le long du Danube, dans la région d’Orsova et dans les défilés des Carpathes, les forces allemandes, autrichiennes, bulgares et turques exercent une pression convergente et continue, sous laquelle les Roumains fléchissent de toutes parts.



Vendredi, 22 septembre.


La fortune politique de Sturmer serait-elle en péril ?

On m’affirme, d’après des indices plausibles, que son ennemi acharné, le ministre de la Justice, Khvostow, l’a ruiné dans l’esprit de l’Empereur, en révélant à Sa Majesté les dessous de l’affaire Manouilow et en l’effrayant par la perspective du scandale imminent. Quels sont ces dessous ? On l’ignore ; mais il n’est pas douteux qu’il y ait un ou plusieurs cadavres entre Sturmer et le directeur de son secrétariat.

On prétend même que le successeur de Sturmer à la présidence du Conseil est déjà secrètement désigné. Ce serait le ministre actuel des Voies de communication, Alexandre-Féodorowitch Trépow. Je n’aurais qu’à me féliciter de ce choix : Trépow est aussi honnête, intelligent et laborieux qu’énergique et patriote.


Je dîne ce soir au restaurant Donon, avec Kokovtsow et Poutilow. L’ancien président du Conseil et le richissime banquier rivalisent de pessimisme ; chacun dépasse l’autre.

Kokovtsow déclare :

— Nous allons à la révolution.

Poutilow reprend :

— Nous allons à l’anarchie.

Pour préciser, il ajoute :

— Le Russe n’est pas révolutionnaire ; il est anarchiste. Et