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fermée à l’influence européenne, cette Afrique du passé a sans doute gardé plus intact que l’Algérie profanée le matériel d’une civilisation, à laquelle les conquérants arabes n’ont presque rien ajouté [1].

Si, en réalité, comme je crois, le vieux fonds latin n’a guère changé, en Afrique, il n’en est pas de même du décor architectural. Il serait puéril de nier l’influence orientale, — et sans doute persane, — sur l’art mauresque ou hispano-mauresque. Ces influences orientales ont été subies, à la même époque, par toutes les nations d’Occident, aussi bien par la Chrétienté que par l’Islam. Notre sculpture et notre architecture romanes en offrent des traces évidentes. Cela vient de ce que, sous l’influence de l’idée religieuse, l’axe du monde méditerranéen s’était déplacé. On ne regardait plus vers Rome, mais vers Jérusalem, tombeau du Christ, ou vers Bagdad et La Mecque, tombeau du Prophète ou capitale des grands Califes.

Comme notre art roman, ou notre art gothique, cet art mauresque a des chefs-d’œuvre incontestés, et aussi son charme, très original et très captivant, que je n’ai jamais songé à nier, et que j’ai même célébré maintes fois. Je n’ai nullement l’intention de sacrifier la mosquée à l’arc de triomphe ou à la basilique chrétienne, ni la villa mauresque à la villa romaine. J’exprime tout simplement des préférences, ou je marque des degrés dans mon admiration. J’observe enfin que la villa mauresque n’est que la villa romaine, sous une décoration différente ; que la première, — et les échantillons anciens et authentiques en sont fort rares, — est extrêmement incommode pour l’Européen moderne ; que les vieux palais barbaresques d’Alger ont dû être sabotés abominablement pour se transformer en archevêché, en préfecture, en caserne, en quartier général de la division, et même pour abriter de simples particuliers. La villa romaine n’est

  1. On objecte à cela : « ce que vous appelez complaisamment du latin n’est peut-être, en somme, que du bergère ! » — Encore faudrait-il en être plus sûr que je ne le suis du contraire, et aussi s’entendre sur la signification de ce mot « Berbère, » qui est devenu, dans la langue courante d’aujourd’hui, quelque chose d’aussi conventionnel que les mots arabe, mauresque, sarrasin ou romain. Mais, même si l’on parvenait à démontrer que tel objet, tel usage, tel mode de construction est purement berbère, c’est-à-dire antérieur à la civilisation punique et latine. — enfin strictement local, — ce serait déjà un argument décisif contre une intransigeance religieuse qui n’admet rien en dehors de la religion, qui prétend pénétrer la vie tout entière de ses adeptes et qui finit par croire qu’elle a tout inventé autour d’elle.