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ou pénétration européenne, — une foule de ces usages, de ces traditions d’art, de métier et de fabrication subsistent toujours : c’est ce que j’ai appelé « du latin que nous ne connaissons plus, » — et que, dans notre ignorance, nous croyons être de l’ « arabe » ou du « mauresque. » Avec les innombrables ruines qui couvrent la face du sol africain, ces vestiges d’une civilisation millénaire, — toute cette prétendue couleur locale islamo-orientale, — tout cela continue à attester la latinisation profonde de l’Afrique. Il suffit d’observer et d’étudier autour de soi ; les preuves abondent, se présentent, pour ainsi dire, d’elles-mêmes, à l’appui d’une idée que je crois assez féconde et assez juste pour renouveler et préciser toute notre conception de l’Afrique du Nord... Veut-on des exemples pris absolument au hasard ? ... Je me rappelle avoir beaucoup admiré, autrefois, chez un ami d’Alger, une copie d’une vieille et charmante fontaine « mauresque, » dont le principal agrément était de faire circuler l’eau, en mille circuits, sur une table de marbre, de façon à produire une véritable arabesque vivante et mouvante, en même temps qu’une sorte de musique ou de chanson de l’eau captive. Quel ne fut pas mon étonnement, quelques années après, d’en retrouver la description dans une lettre de Pline le Jeune ! La fontaine « mauresque » de mon ami était, en réalité, romaine ou latine.

Vers le même temps, ayant eu l’occasion de relire l’Octavius de Minucius Félix, mon attention fut attirée par un petit détail du récit liminaire par où s’ouvre ce fameux dialogue. Un des interlocuteurs, apercevant une statue de Sérapis, salue le dieu, en passant, — et il le salue de la main, en se baisant l’index replié : ce qui est, encore aujourd’hui, la salutation des indigènes africains... On n’en finirait pas, si l’on voulait énumérer toutes les survivances antiques qui se sont continuées dans les usages et les mœurs des Musulmans d’Afrique. Je suis à peu près sûr que, si je vais jamais à Fez, je retrouverai, dans les boutiques de la capitale marocaine, du latin qui s’ignore et qu’on ignore. Sans doute, à l’époque romaine, la Maurétanie Tingitane paraît avoir été très peu touchée par la civilisation latine. Mais, depuis des millénaires, toutes les vieilles traditions se refoulent vers le Maghreb rétrograde, avec les races fugitives chassées par l’envahisseur. Cette très vieille Afrique qui, jusqu’à ces derniers temps, s’est retranchée au Maroc et s’est âprement