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Maurétanie Tingitane et tout son hinterland, qui est devenu le Maroc actuel, ont été très peu touchés par la civilisation latine. Et ainsi ma théorie du rapprochement avec l’Indigène sur le terrain de la latinité ne jouerait que très imparfaitement, ou même pas du tout, pour ces contrées excentriques.

Les objections faites à cette théorie proviennent de ce qu’on oublie toujours que l’Afrique ancienne est un pays sans unité. Ainsi le veulent sa géographie et son ethnographie. Il est clair que la civilisation des rivages et du Sahel ne peut être celle du Tell, qui ne peut pas être celle des régions sahariennes. Les montagnards de Kabylie ne peuvent point avoir le même genre de vie que les hommes des oasis, vers Biskra et Touggourt. A ces divers compartiments géographiques, — les rivages, le Sahel, le Tell, le Sahara, — véritables cloisons étanches qui divisent le pays, correspondent, de toute évidence, des mœurs et des institutions sociales fort différentes. Il en a toujours été ainsi. Il est probable qu’il en sera longtemps encore, et peut-être toujours ainsi. A l’époque romaine, on distinguait, au plus bas degré de l’organisation politique, ce qu’on appelait les gentes, c’est-à-dire, en somme, les tribus indigènes d’aujourd’hui, ayant à leur tête des reguli, sortes de « scheicks, » reconnus par l’autorité centrale. Puis à un degré supérieur, les civitates, groupement de villages et de fermes autour d’un centre urbain, qui avait déjà un rudiment d’organisation municipale à la romaine. Ensuite, les municipes, qui avaient une organisation municipale complète, mais qui ne jouissaient pas de toute la plénitude des droits civiques. Enfin, au sommet de la hiérarchie, les colonies, dont les habitants étaient des citoyens romains, possédant toutes les prérogatives attachées à ce titre.

Il est clair que ce sont ces derniers qui étaient le plus profondément latinisés. Avec leurs compatriotes des « municipes » et des « cités, » ils représentaient ce qu’il y avait de plus actif, de plus intelligent et de plus policé dans le pays. Le reste, les nomades du Sud, les montagnards de l’Atlas, restaient forcément en dehors de la cité africaine et latine. C’est ce que saint Augustin appelait avec dédain : Afri barbari, — les Barbares d’Afrique. Ceux-là n’entreront jamais, ou difficilement, dans les cadres de notre civilisation, parce que leur genre de vie, leur race et leur climat, sont trop différents des nôtres. Mais ce