Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 8.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour prendre des noms latins. Tantôt ces Africains prennent un nom complet, selon les règles les plus strictes de l’onomastique romaine. D’autres fois, ils.se bornent à traduire en latin leurs noms berbères ou carthaginois, ou le nom de leur pays d’origine. On voit à Timgad une épitaphe qui commence par ces mots figures en mosaïque : GETVLA IN PACE... C’est sans doute la tombe d’une esclave, d’une pauvre négresse, d’une femme des régions sahariennes, qui a cru protéger plus sûrement le souvenir de sa chétive existence en le confiant à la langue de ses maîtres latinisés.

De même que la langue, l’architecture africaine devint bientôt toute latine. Ainsi, les édifices antiques dont est semé le sol africain, sont l’œuvre des indigènes, et non pas d’on ne sait quels hypothétiques vainqueurs, lesquels n’ont jamais résidé dans le pays. Les forums, les temples, les basiliques, les thermes, les théâtres et les amphithéâtres ont été élevés par les Africains, et non par de vagues Romains : si bien qu’aujourd’hui, lorsqu’un indigène passe devant une ruine de l’Afrique latine, il a le droit de la vénérer comme l’œuvre de ses pères. Ces ruines, dites romaines, sont pour lui, bien plus encore que pour nous, des monuments nationaux.

Cela étant, on comprendra que j’aie lu avec stupeur, dans un des articles écrits pour me réfuter [1], l’anecdote suivante... Un fonctionnaire français fait des fouilles sur l’emplacement d’une petite ville antique. Devant le caïd du lieu, il découvre une inscription romaine, et, montrant à cet Africain les lettres latines, il lui dit : « Tu vois, ce ne sont pas tes pères qui ont bâti cette ville, ce sont les miens ! » Rien de plus faux, — rien qui contribue davantage à perpétuer les malentendus et à éterniser les haines entre les indigènes et nous ! En tenant ces propos au caïd, le fonctionnaire français méconnaissait, avec la vérité historique, l’intérêt de la France.

Il faut crier bien haut le contraire. Je ne me lasserai donc pas de le répéter, et je voudrais que tous les instituteurs d’Algérie et de Tunisie le répétassent à leurs élèves : « les prétendues ruines romaines de l’Afrique du Nord, ruines réellement africaines, sont, pour les indigènes, bien plus encore que pour nous, des monuments nationaux. »

  1. Voir, dans la Revue de France du 1er janvier 1922, la France et les indigènes de l’Afrique du Nord, par M. Gustave Ronger.