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Ce n’est pas tout. Voici le plus beau : « Si vous conviez, me dit-on, les indigènes à vous rejoindre sur le forum de leurs ancêtres, c’est que, secrètement, hypocritement, vous nourrissez le projet de les conduire au baptistère de la basilique prochaine. Sous le couvert de l’archéologie et du patriotisme, vous abritez une propagande confessionnelle. Vous travaillez pour l’Eglise ! » Et, après avoir brandi l’épouvantail du séparatisme, on dresse devant les esprits timorés le spectre affreux du cléricalisme.

A de tels arguments il n’y a rien à répondre. Ceux qui les soutiennent obéissent à d’invincibles préventions. Quand je me disculperais avec la plus entière bonne foi et la plus claire évidence, ils n’en conserveraient pas moins, au fond d’eux-mêmes, ce préjugé que tout ce qui est romain est suspect, parce que le romain conduit au chrétien. Ah ! plutôt être turc ! ... Cela me rappelle un photographe juif, que j’avais emmené, au cours d’une randonnée archéologique en Algérie. Cet homme ronchonnait chaque fois que je l’obligeais à braquer son objectif devant un débris romain. Visiblement il avait le romain dans le nez. Un jour qu’il était en train d’opérer, un charmant petit âne vint s’ébaudir au milieu des ruines qu’il photographiait. Sur quoi l’individu me dit, d’un ton rageur : — « Est-ce que je prends aussi le bourricot ! Il doit être romain, celui-là encore !... »

Donc, je n’entreprendrai pas de détromper ceux qui sont convaincus que, sous prétexte de ramener l’indigène musulman à la conscience de ses origines, je veux le livrer aux convertisseurs. Mais, comme certains passages de mes études antérieures, — habilement présentés et isolés de leur contexte, — pourraient prêter à des interprétations fâcheuses, qu’on me permette d’y ajouter les éclaircissements que voici.

Si j’ai rappelé aux Musulmans d’Afrique que leurs ancêtres furent chrétiens pendant de nombreux siècles, c’est que j’ai voulu combattre, — et que je veux toujours combattre, — ce préjugé que l’Islam n’est pas seulement une religion, mais un mode de pensée propre aux races africaines et qu’ainsi il n’y a aucun espoir d’amener jamais les indigènes à penser comme nous. Du moment que le contraire a été vrai pendant des siècles, j’estime que c’est un devoir d’humanité de le leur rappeler avec insistance. Par « pensée, » je n’entends pas, ici, la pensée religieuse, mais tout uniment la pensée moderne. Les amener