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A l’heure actuelle, le péril du séparatisme parait une éventualité très lointaine, l’Afrique ne pouvant que changer de maîtres, loin de pouvoir régir ses destinées et surtout défendre son existence. Bien plus : il semble fort improbable que, quoi qu’il arrive, l’Afrique du Nord puisse jamais constituer une seule et même nation. L’histoire, la géographie, l’ethnographie s’opposent à une pareille conception. Jamais, à aucune époque, pas plus à l’époque romaine qu’à l’époque arabe ou turque, les Afriques n’ont connu l’unité nationale. Non seulement cet immense pays n’a pas de frontières du côté du Sud, mais il est divisé en compartiments distincts, où les conditions de la vie sont très différentes et les populations très différentes aussi, quand elles ne sont pas divisées les unes contre les autres. L’Afrique des rivages est tout italienne ou espagnole. Les gens du Sahel ne ressemblent point aux gens du Tell, qui ne ressemblent point aux nomades ou aux rares agriculteurs des régions sahariennes. Ajoutons à celle diversité des zones africaines, presque étrangères les unes aux autres, à cette hostilité mutuelle des races indigènes, l’afflux des immigrants venus de tous les points de la Méditerranée. Comment arriver à faire une nation, dans des conditions géographiques aussi défavorables, avec des éléments ethniques aussi hétérogènes ?

Alors, qu’ai-je entendu signifier par ces mots de « nation africaine ? » — Simplement une solidarité d’origine, solidarité d’un caractère plus intellectuel et sentimental que physique et physiologique. Je voudrais que ce mot « Africain, » sonnât aux oreilles de tous les actuels habitants de l’Afrique du Nord comme il sonnait à celles de tous les habitants de l’Afrique ancienne. Il désignait pour eux une pairie commune, — je ne dis pas une nation, — un foyer commun, une mère commune. Lorsqu’ils voyaient, sur les places de leurs villes, la statue colossale de la déesse Africa, couronnée du modius, — le boisseau de blé, symbole de sa fertilité, — et drapée dans une peau d’éléphant, tous s’inclinaient devant elle comme devant la divinité tutélaire du pays et devant la nourrice commune. Ce sentiment de s’asseoir au même foyer, de manger le même pain est quelque chose de plus fort qu’on ne pense. C’est dans la pleine conscience de cette fraternité du foyer et du pain rompu ensemble qu’Augustin de Thagaste pouvait appeler « mon frère » son collègue Emeritus de Césarée, non pas seulement