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marchait d’accord avec M. Rathenau, mais, en l’appelant au Gouvernement, le chancelier fait un acte décourage qui est à son honneur.

Les conceptions de M. Rathenau sont connues ; il les a exposées officiellement à Cannes après le départ de M. Briand, le 12 janvier. Après avoir affirmé que « l’Allemagne est déterminée à s’exécuter jusqu’à la limite de ses facultés », il s’applique à démontrer que ces facultés sont actuellement très limitées en raison de la faible valeur du mark-papier. Les Alliés, en modérant leurs exigences immédiates, permettaient au Gouvernement du Reich de remettre l’ordre dans ses finances et, par suite, en améliorant le cours du mark, de s’acquitter plus aisément. La thèse, habilement présentée, est connue. Retenons la conclusion : l’Allemagne, bien que disposant de moins de ressources que les États riches, « est en situation de prendre la part qu’on a songé à lui offrir dans la restauration de l’Europe, d’autant plus qu’elle connaît bien les conditions techniques et économiques et les usages des pays de l’Est… Elle se croit d’autant plus le droit de participer au développement des pays de l’Est et du centre de l’Europe qu’elle a tenu un rôle dans l’histoire politique et économique de ces pays… Elle a résisté à la désorganisation politique et sociale qui, triomphante chez elle, serait devenue un danger pour le monde entier. C’est pourquoi elle croit devoir se consacrer, selon ses forces, à la reconstitution, non seulement des régions dévastées de l’Ouest, mais de l’Europe orientale et centrale, et prendre ainsi sa part de la tâche que se sont tracée les grandes Puissances. »

Prenons garde aux perspectives d’avenir qui se dessinent sous les apparences modestes d’un concours apporté dans l’intérêt général à une reconstitution de la Russie. M. Rathenau nous rappelle que son passé, son voisinage, son expérience du caractère russe, prédisposent l’Allemagne à une collaboration avec la Russie. L’Allemagne, sans flotte de guerre, sans colonies, va trouver en Russie le plus beau terrain de colonisation. Par là la politique de M. Rathenau rejoint celle des Stiunes et des Helfferich ; les puissants cartels de production et de vente que le « parti industriel » est en train de constituer s’amalgameront avec les grands trusts d’État que les bolchévistes travaillent à mettre sur pied et deviendront les maîtres de la Russie ; c’est vers l’Est que l’Allemagne espère retrouver sa richesse et sa force ; c’est la Russie qu’elle espère un jour mobiliser pour jeter ses masses d’hommes sur l’Occident et venger sa défaite. Et qui ne voit l’imprudence de la politique anglaise qui pousse l’Allemagne précisément dans la direction où elle désire aller, la seule où elle puisse