disposés dans le grand salon en rotonde. Devant l’écran, il y a trois fauteuils, entourés d’une dizaine de chaises. L’Empereur et l’Impératrice entrent presque aussitôt, accompagnés des jeunes Grandes-Duchesses et du Césaréwitch ; ils sont suivis par le Ministre de la Cour et la comtesse Fréederickz, le Grand-Maréchal de la Cour et la comtesse Benckendorff, le colonel Narischkine, Mlle de Buxhœvden, le précepteur du Césaréwitch, Gilliard, et quelques fonctionnaires subalternes du Palais ; des groupes de domestiques et de femmes de chambre se pressent au seuil de chaque porte. L’Empereur est en tenue de campagne ; l’Impératrice et ses filles en robes de laine sans aucune recherche ; les autres dames en costumes de ville. C’est la Cour impériale dans toute la simplicité de sa vie quotidienne.
L’Empereur me fait asseoir entre l’Impératrice et lui. On éteint les lumières ; la représentation commence.
J’assiste avec émotion à cette longue suite de tableaux et d’épisodes, si vrais, si vivants, si pathétiques, si éloquemment expressifs de l’effort français ! L’Empereur me prodigue les éloges sur notre armée. A chaque instant il s’écrie :
— Que c’est beau !... Quel entrain ont vos soldats !... Comment peut-on résister à un pareil bombardement ? Quelle accumulation d’obstacles dans ces tranchées allemandes !
L’Impératrice est silencieuse, à son habitude ; elle me témoigne cependant autant d’amabilité qu’elle peut. Mais que d’effort dans ses moindres compliments ! Quelle contraction dans ses sourires !
Pendant un entr’acte d’une vingtaine de minutes, où l’on nous sert du thé et dont l’Empereur profite pour allumer une cigarette dans le salon voisin, je reste seul à côté de la souveraine. Interminable tête-à-tête ! Nous parlons de la guerre, de ses horreurs, de notre victoire certaine, etc. ; l’Impératrice me répond en phrases entrecoupées et toujours approbatives, comme répondrait un automate.
La seconde partie de la séance n’ajoute rien à mes impressions premières.
Au moment de se retirer, l’Empereur me dit, sur ce ton d’affabilité qui lui est naturel quand il se sent à l’aise :
— J’ai été heureux de faire ce voyage de France avec vous. Demain, nous causerons longuement...