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Dimanche, 27 août.

L’armée russe développe brillamment ses opérations dans la Haute-Arménie. Elle vient d’occuper Mouch, à l’Ouest du lac de Van. Les Turcs battent en retraite de Bitlis sur Mossoul.



Lundi, 28 août.


Hier, l’Italie a déclaré la guerre à l’Allemagne, consommant ainsi sa rupture avec le germanisme, et la Roumanie a déclaré la guerre à l’Autriche-Hongrie.



Mardi, 29 août.

L’ancien président du Conseil, Kokovtsow, étant de passage à Pétrograd, je vais le voir cet après-midi.

Je le trouve plus pessimiste que jamais. Le renvoi de Sazonow et du général Biélaiew l’inquiète au plus haut point :

— L’Impératrice, me dit-il, est désormais toute-puissante. Sturmer, qui est un incapable et un vaniteux, mais qui a de l’astuce, et même de la finesse, quand ses intérêts personnels sont en jeu, a fort bien su la prendre. Il va régulièrement au rapport chez Elle ; il l’informe de tout ; il la consulte sur tout ; il la traite en Régente ; il l’entretient dans l’idée que l’Empereur, ayant reçu ses pouvoirs de Dieu, n’a de compte à rendre qu’à Dieu seul et que, par suite, quiconque se permet de contredire la volonté impériale est sacrilège. Vous jugez si un pareil langage a de la prise sur le cerveau d’une mystique !... C’est ainsi que Khvostow, Krivochéïne, le général Polivanow, Samarine, Sazonow, le général Biélaïew et moi, nous sommes considérés aujourd’hui comme des révolutionnaires, des traîtres, des impies !

— Et vous ne voyez aucun remède à cette situation ?

— Aucun !... C’est une situation tragique.

— Tragique ?... Le mot n’est-il pas excessif ?

— Non. Croyez-moi ! C’est une situation tragique. Égoïstement, je me félicite de n’être plus ministre, de n’avoir aucune responsabilité dans la catastrophe qui se prépare. Mais, comme citoyen, je pleure sur mon pays.

Des larmes lui montent aux yeux. Pour se ressaisir, il parcourt