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l’Empereur. Benoît XV, qui bientôt, dans ses documents pontificaux, insistera sur la nécessité d’avoir égard aux « justes aspirations des peuples, » n’était pas dupe de ce factice parallèle entre la grandiose idée d’une chrétienté groupant harmonieusement toutes les nations et la médiocre réalité d’une Autriche oppressive et tyrannique. Telle quelle, cependant, insistaient ses interlocuteurs, elle fut en maintes circonstances le contrefort de l’Eglise romaine. Puis, s’étant ainsi drapés dans un certain traditionalisme dont ils escomptaient l’ascendant, ils traçaient un effrayant tableau des conséquences que pourrait avoir la victoire de l’Entente. Ce serait, disaient-ils, la Russie s’implantant à Constantinople et fermant à Rome, pour jamais, les routes de l’Orient. Ils voyaient, ils montraient le Tsarisme, trônant dans cette basilique de Sainte-Sophie où s’étaient succédé, depuis le concile de Florence jusqu’à l’entrée des Turcs, des patriarches unis à Rome ; et le « schisme », de là rayonnant sur tous les Etats balkaniques, les englobant, les maitrisant, les barricadant contre toute pénétration de l’influence romaine, et murant le Pape en Occident, définitivement. Ils redisaient la marche des armées russes à travers la Galicie, les voies de fait contre le clergé romain : voilà ce qu’est, observaient-ils, la Russie belligérante : que serait donc la Russie triomphante ? Leur diagnostic passionné stigmatisait l’Angleterre comme l’ennemie historique du papisme, et la France comme une fille ingrate, « séparée » de l’Eglise sa mère ; que la victoire, concluaient-ils, assurât à ce groupement de puissances l’hégémonie du monde, et l’opinion universelle serait commandée par des nations qui professeraient à l’endroit de la Papauté une ignorance hostile ; et dans cet Occident même où la Russie la reléguerait, l’Angleterre et la France la condamneraient à vivre effacée.

Telle était l’une des possibilités d’avenir que les interprètes des Puissances centrales mettaient sous les yeux du pape Benoît XV, pour qu’avec son autorité de Pape il tentât de la conjurer. Mais lui, par ailleurs, connaissait d’autres voies de fait commises contre d’autres prêtres, contre d’autres institutions catholiques, et cela sur un territoire qui avait été envahi contrairement au droit des gens ; il avait le droit de se demander si le bras de certains incendiaires, à Louvain, n’avait pas été guidé par un esprit de haine confessionnelle. Un témoin de ces abominations, un calviniste de Hollande, M. Grondijs, avait cru deviner, sous