Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 7.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurez à cœur de le bien laver des souillures qui le rendent moins beau.

Folie, de mépriser la philologie ! Autre folie, de l’abandonner aux Allemands, qui l’annexent trop volontiers à leur culture et qui se targuent de l’avoir inventée. Ils ne l’ont pas inventée. Il y a une philologie de chez nous : et Ronsard ne l’a point méconnue ; et, plus tard, Chénier ne l’a pas méconnue.

Ronsard est un érudit. Cela étonne, parce qu’on se figure l’érudition triste ou chagrine et, peu s’en faut, une manie de vieilles gens tout déconfits. L’érudition n’est pas triste ou chagrine, mais gaie. Du moins vaut-elle ce que vaut l’érudit, lequel aurait tort de ne pas s’amuser. Il y a, et l’on en a vu même en Sorbonne, des érudits et des philologues très bêtes. L’érudition ni la philologie de Ronsard et de Chénier ne sont dérisoires, mais bien des signes de leur génie. C’était Ronsard et c’était Chénier ? Sans doute ! Mais il suffit, pour que la philologie soit digne d’estime et d’amitié, qu’on ne l’ait pas séparée de l’humanisme. Elle ne saurait se passer de l’humanisme plus que lui ne se passe d’elle sans inconvénient. La philologie et l’amour des lettres ne sont qu’une même vertu de l’esprit.

L’érudition ni la philologie n’ont accablé Ronsard et ne l’ont rendu moins vif : relisez le livre des Amours ; voire, lisez le Livret de Folâtries. Ou bien accompagnez Ronsard dans la maison de Jean Morel, seigneur de Grigny, maréchal des logis de Catherine de Médicis et maître d’hôtel du roi : maison charmante où fréquentent les humanistes. C’est rue Pavée, tout près de Saint André des Arcs. Jean Morel a voyagé ; il a vécu, un peu de temps, à Bâle dans la familiarité illustre d’Érasme. Il a suivi les leçons des grands maîtres dans les universités d’Italie. Maintenant, on l’admire pour la jolie facilité de son langage, pour sa pensée fine et ornée. Ronsard lui dédie la Nouvelle continuation des Amours, « petits sonnets bien faits, belles chansons petites, » et l’appelle « fleur de ses amis. » Jean Morel avait épousé Antoinette de Loynes, qui savait le latin. Ses trois filles, Camille, Lucrèce et Diane, étaient éprises de toute poésie grecque, latine et française, A dix ans, Camille parlait le grec ; elle écrivait l’hébreu ; elle chantait sur le luth les vers de Ronsard et de Du Bellay. On l’appelait la dixième muse ; elle avait les grâces d’une jeune fille. Elle écrivait, pour Dorat, des vers grecs ; pour Ronsard, des vers français ; en retour, ils la célébraient sous les noms de Corinne et de Sapho. » Du Bellay, dit M. de Nolhac, voulut lui faire réciter, avec Diane, Lucrèce et leur jeune frère, un grand épithalame dialogué, au