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REVUE LITTÉRAIRE

RONSARD ET L’ANTIQUITÉ [1].

Il y aurait un charmant livre à écrire : ce serait l’histoire posthume de l’Antiquité, l’histoire de l’idée qu’on se fit de l’Antiquité depuis deux mille ans bientôt qu’elle est morte ; enfin ce serait l’histoire des contresens qui, d’âge en âge, ont modifié, ont perpétué en la modifiant la défunte et, ainsi, l’éternelle Antiquité.

Au moyen âge, Rome et Athènes périmées semblent des cités bien féodales où les barons commencent leurs querelles ; et Virgile est honoré comme un prophète annonciateur du Christ : le même Virgile à qui les républicains de Quarante-huit ne craignirent pas d’attribuer l’invention de la philosophie humanitaire, et le même Virgile à qui de bons Tolstoïens prêtent la religion de la souffrance. Les écoliers du Latium prenaient dans l’Enéide une leçon d’orgueil national, y trouvaient de valables raisons de préférer leur patrie et leurs dieux aux dieux étrangers et aux diverses patries. L’Antiquité, à l’époque de la Renaissance, devant un symbole de libération mentale et morale, un argument de révolte, l’affirmation d’un panthéisme abondant et d’un indulgent naturalisme, l’un des prétextes honorables qu’on ait sincèrement imaginés pour un magnifique déploiement de paganisme et pour une immense débauche ornée de beauté. Au XVIIe siècle, l’Antiquité apparut comme une époque privilégiée, dégagée de la chronologie, où vécut, si l’on peut ainsi parler, une humanité emblématique. Les écrivains d’alors plaçaient en Grèce et dans le Latium des personnages d’une réalité si générale qu’ils sont les types mêmes des

  1. Ronsard et l’humanisme, par M. Pierre de Nolhac (Champion) ; — du même auteur, chez le même éditeur, Pétrarque et l’humanisme.